La reconquête démocratique connectée, du monde arabe au continent européen (3

Cet article est le troisième d’une série sur l’émergence d’une nouvelle culture européenne bâtie par une jeunesse qui s’impose de plus en plus dans le débat public. Une thématique débattue lors du forum #european.lab.

L'électro Chaäbi, nouveau genre musical en Egypte
Figures de proue médiatiques des « printemps arabes » hier, mais laissées pour compte des politiques aujourd’hui, les jeunesses du monde arabe cristallisent à elles seules les difficultés que traversent leurs pays.

Cinq ans après les soulèvements démocratiques qui ont bouleversé l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient, que peuvent nous dire ces jeunesses engagées 2.0 ?

Le nouvel underground des mondes arabes

Souvent réduits à une lecture géopolitique de leurs territoires, les jeunes artistes émergents des pays du pourtour méditerranéen sont les grands absents de la scène musicale internationale.

Pourtant la scène pop underground de Beyrouth a émergé dans les années 90, le hip-hop fait trembler la scène tunisienne et l’électro est sorti dans les rues du Caire depuis les printemps arabes.

Dans la lignée de la grande Oum Kalthoum, de nombreuses femmes continuent toujours de braver le carcan social et politique pour monter sur scène.

Ces jeunes artistes sont les porte-paroles d’une jeunesse qui se bat encore et toujours pour l’obtention de ses droits, dans des pays en proie à des régimes autoritaires ou aux démocraties balbutiantes.

L’Égypte en exemple avec l’electro chaâbi !

Dans les bidonvilles du Caire, la jeunesse danse au son de l’electro chaâbi, une nouvelle musique qui mélange chanson populaire, beats électro et freestyles scandés à la manière du rap.

L’idée : fusionner les sons et les styles de manière chaotique avec un seul mot d’ordre, « foutre le bordel » !

Victime de la corruption et la ségrégation sociale, la jeunesse des quartiers populaires exorcise en faisant la fête. Libération des corps et d’une parole refoulée, transgression des tabous religieux, bien plus qu’un simple phénomène musical, l’électro chaâbi est un exutoire salutaire pour une jeunesse brimée par les interdits que la société égyptienne lui impose.

Le forum #european.lab a pu donner, ainsi, la parole à quelques représentants de cette nouvelle génération d’artistes arabes dont le goût de l’underground s’affirme comme un signe de résistance à un ordre politique autoritaire.

Un Make Sense Room a pu se dévoiler dans le forum : l’autonomisation des femmes dans les mondes arabes. La femme musulmane représente plus de 500 millions de personnes dans le monde, avec des sociétés aussi disparates et éloignées que peuvent être l’Indonésie et l’Iran, avec des niveaux d’éducation et de richesse difficilement réductibles aux quelques archétypes décrits régulièrement par certains médias et hommes politiques.

Nous avons pu entendre dans ce MSR, que dans tous les pays musulmans, l’entrepreneuriat social au féminin représente, aujourd’hui, une lame de fond qui participe à faire bouger les lignes et améliorer la représentation des femmes dans toutes les couches de la société… À suivre donc…

Et l’Europe alors ?

Et pour terminer sur l’European lab avec l’Europe, revenons à son fondateur Vincent Carry :

L’édition 2016 du forum est plus que jamais indexée à une désagrégation civique et politique. Si nous ne parvenons pas à endiguer cette poussée des populismes européens, alors tout sera emporté. Le défi pour notre génération est énorme et nous avons clairement le sentiment que nous allons devoir régler une addition dont nous ne sommes pas responsables.

Comme l’ont revendiqué de nombreux intervenants du forum, il serait, donc, encore largement temps d’agir et de « sortir de l’apathie » et tous, dans des champs d’intervention divers, ont déployé une énergie constructive et ont dévoilé des projets de transition numérique avec des maillages et des réseaux opérants. Vincent Carry encore :

L’idée de l’année zéro, c’est donc celle d’une nouvelle ère, celle de la reconquête démocratique, en réfléchissant à l’arme que constitue le bien commun de la culture. Rompre la spirale de la fatalité, du renoncement, de la lassitude. Rassembler une génération d’acteurs et retrouver ensemble du désir et de l’espoir.

Malgré tout, le budget européen de la culture resterait souvent insuffisant et dans la plupart des pays, les ministères et les collectivités locales ne feraient que gérer le patrimoine et maintenir à flot une politique culturelle ultra-institutionnelle.

Ces choix « assèchent les territoires, hiérarchisent et verticalisent la culture dans un top downdu XIXe siècle, interdisent tout redéploiement d’une ambition culturelle qui soit un début de réponse aux crises sociales et démocratiques que nous connaissons », a-t-on encore entendu au forum.

Phénomène de nécrose

La philosophie et l’esprit dégagé de cet European Lab 2016 est née, ainsi, de cet état de fait : « le message de la culture institutionnelle c’est : en avant comme avant ! En niant les projets et la culture d’aujourd’hui, en refusant d’investir dans ce qui fera notre culture de demain, les politiques culturelles entérinent sciemment un phénomène de nécrose. Ce que nous avons compris dans le domaine de l’économie, la logique de l’incubation, de l’essaimage, nos politiques sont incapables d’en voir la nécessité dans le champ culturel. Pourtant, penser l’avenir de notre ADN, dont la culture est un élément structurant, c’est une question de survie ».

C’est ainsi que les équipes d’European Lab et les intervenants européens et d’autres pays et continents, ont pu nous le démontrer, il ne faudrait pas beaucoup d’argent pour donner un « souffle énorme » et que, surtout, « la culture est le seul espace de partage dans lequel nous pouvons retrouver un lien fort, à peu de frais ». Et, aujourd’hui, nous n’avons eu jamais eu autant besoin de politique, comme le mouvement Nuit debout en est à sa manière un indice éclairant. « Notre société ne se désagrège pas du fait de son excès de politique, mais de son absence ».

Plus que jamais, en 2016, et le forum a pu nous le montrer par la qualité de toutes les interventions, il importera de défendre cet espace des cultures indépendantes, non institutionnelles mais bâties dans le respect de l’intérêt général, avec une génération pour qui la culture, aujourd’hui en Europe et ailleurs aussi, sert, plus que tout, « à vivre ensemble, à garder l’espoir et à être heureux ».

Par Fabien Dworczak (PhD, chercheur associé neurosciences et éducation, Université Lumière Lyon 2)  Source de l'article The Conversation

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