La région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord (MENA) n’avait jamais autant souffert qu’aujourd’hui du vieillissement de son infrastructure, étant donné, tout particulièrement, la forte augmentation de sa demande d’électricité.
D’après les estimations, les besoins en électricité augmenteront de 84 % d’ici 2020, ce qui nécessitera 135 gigawattheures (GW) de capacités de production supplémentaires et 450 milliards de dollars d’investissements. La recherche de solutions nouvelles qui permettront une fourniture d’électricité adéquate et viable dans la région est devenue un impératif.
Pour relever ce défi, il sera fondamental de renforcer l’intégration régionale des réseaux d’électricité, ce qui assurera des approvisionnements suffisants et optimisés sur le long terme.
L’intégration régionale facilite les échanges d’électricité et encourage une utilisation plus efficiente des capacités de production existantes pour répondre à la demande croissante. Dans la région MENA, elle pourrait ramener de 135 à 102 GW les capacités de production supplémentaires nécessaires, ce qui réduirait nettement le montant des investissements à réaliser d’ici 2020.
Sur le plan technique, la région sera entièrement interconnectée en 2018 au plus tard, lorsque la ligne d’interconnexion de 3 000 mégawatts (MW) reliant l’Égypte et l’Arabie saoudite sera achevée. Cependant, en réalité, les échanges d’électricité entre pays arabes sont modestes : ils représenteraient moins de 2 % de la capacité régionale, faisant de la région MENA la région du monde la moins intégrée.
Cette situation est due à de multiples facteurs. L’un d’entre eux est le sous-investissement dans les capacités de production régionales, qui, dans un contexte de troubles politiques persistants dans des pays de premier plan, retarde significativement la construction de nouvelles centrales et infrastructures de transport d’électricité. De plus, dans nombre des pays de la région MENA, les profils de consommation d’énergie journaliers et saisonniers sont analogues, ce qui réduit les possibilités d’échanges d’électricité.
Néanmoins, si les perspectives de coopération intrarégionale restent limitées, la coopération interrégionale pourrait, elle, être renforcée entre certains pays de la région et l’Europe. De fait, au vu des capacités de production excédentaires en Europe du Sud, les échanges d’électricité interrégionaux pourraient avoir des effets bénéfiques. Par exemple, depuis la fin des années 1990, le Maghreb est interconnecté avec l’Europe via une liaison sous-marine de 1 400 MW entre le Maroc et l’Espagne. Le Maroc importe de l’électricité espagnole pour couvrir près d’un cinquième de sa demande intérieure. Il a donc moins besoin de se doter de capacités supplémentaires pour faire face à la hausse de sa consommation d’énergie. Entre outre, ce pays a bénéficié de la baisse des prix de l’électricité en Espagne lorsque les producteurs espagnols se sont mis en quête de nouveaux marchés pour y écouler leurs capacités inutilisées.
L’Italie et la Tunisie pourraient faire de même.
Depuis quelques années, l’Europe est aux prises avec une récession économique qui entraîne un net recul de la demande d’électricité, tout particulièrement en Italie. Cependant, les mesures que l’Italie a adoptées en vue d’accroître sa production d’énergies renouvelables ont été si fructueuses que ce pays devrait atteindre avec plusieurs années d’avance l’objectif fixé par l’Union européenne : d’ici 2020, produire 20 % de son électricité à partir d’énergies renouvelables. La contraction de la demande en raison de la crise économique et les projets de production d’énergies renouvelables qui ont vu le jour ces dernières années ont transformé l’Italie en un pays où l’offre d’électricité est excédentaire, pour la première fois depuis l’après-guerre.
La Tunisie affiche un bilan énergétique inverse. Au fur et à mesure de l’épuisement de ses réserves domestiques de gaz, la Tunisie doit développer et élargir ses sources externes d’approvisionnement en énergie. Le projet d’interconnexion sous-marine entre la Tunisie et l’Italie remonte à plusieurs années. À l’époque, il s’agissait d’exporter vers l’Italie de l’électricité « verte » produite en Tunisie. Ce projet a été relancé alors que la Tunisie est en train de déterminer si elle peut produire de l’électricité à partir de charbon et construire de nouvelles installations de gaz naturel liquéfié (GNL) pour importer du gaz destiné à la production d’électricité. Cette liaison sous-marine lui permettrait d’importer l’électricité excédentaire (plus de 40 000 MW) produite en Italie à partir du charbon et des énergies renouvelables. Grâce à cette interconnexion, qui offrira une capacité initiale de 600 MW, la Tunisie pourra diversifier ses sources d’importation d’énergie et mettre à profit les écarts de prix (la différence entre le prix de vente et le coût de production intégrant l’achat du combustible, ou « spark spread »), c’est-à-dire décider, en fonction des prix de marché, d’importer soit du gaz soit de l’électricité.
Une récente étude consacrée à l’impact économique de cette interconnexion en montre les répercussions positives, non seulement pour la Tunisie et l’Italie, mais également pour d’autres pays européens. La France, par exemple, devrait accroître ses exportations d’électricité vers le nord de l’Italie car une plus grande partie de l’électricité produite dans le sud de ce pays sera destinée à la Tunisie. L’Allemagne et la Suisse devraient, elles aussi, en bénéficier, du moins à court terme.
C’est l’une des principales raisons pour lesquelles, depuis 2014, la Banque mondiale redouble d’efforts pour apporter une assistance technique à la Tunisie afin d’évaluer la faisabilité économique de cette interconnexion sous-marine avec l’Italie. La Société tunisienne de l’électricité et du gaz (STEG) et l’entreprise italienne de transport d’électricité TERNA ont constitué une coentreprise pour étudier la faisabilité technique et économique de ce projet. La Banque mondiale travaille avec ces deux entités sur la faisabilité économique et sur la structure de financement du projet.
Des complémentarités analogues existent dans la région MENA, avec un vaste potentiel pour un marché intrarégional de l’électricité, en particulier entre les pays membres du Conseil de coopération du Golfe. Et la stabilité de l’approvisionnement énergétique nécessaire pour stimuler la croissance et le développement ne sera probablement pas le seul effet positif. La coopération dans le secteur du charbon et de l’acier est à l’origine de l’Union européenne, laquelle s’est révélée un important facteur de stabilité pour l’Europe au cours des 60 dernières années. De même, les échanges régionaux d’énergie pourraient contribuer à une plus grande stabilité dans la région MENA.
Par Sameh Morabek - Source de l'article Blog Banque Mondiale
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