La surveillance des espaces maritimes en Méditerranée ne doit pas être l’apanage des Etats, qui peuvent l’assurer convenablement. Le recours à des sociétés privées est désormais nécessaire.
Depuis la moitié du siècle dernier, les États littoraux n’ont eu de cesse de revendiquer et d’étendre leur emprise sur de vastes espaces maritimes. La mer, espace de liberté, n’appartenant à personne en particulier et à tous en général, a été peu à peu grignotée par ces aspirations reposant sur la combinaison, à intensité et géométrie variables, des intérêts économiques, des enjeux de souveraineté et des préoccupations environnementales.
Problématique de la surveillance en haute mer
La Méditerranée, cependant, a longtemps été préservée de ce mouvement général. Pour des raisons relevant exclusivement du contexte géopolitique, la majorité des États riverains s’était abstenue de créer des zones économiques exclusives (ZEE). Aujourd’hui, elle n’échappe plus à cette tendance et la part de haute mer, au sens de la convention des Nations Unies sur le droit de la mer (1), est réduite à une très faible superficie, de sorte que l’on pourrait légitimement estimer que ces nouveaux espaces sous juridiction des États côtiers bénéficient d’une meilleure surveillance et protection.
En effet, la création, dans un premier temps, de la zone de protection écologique en 2003 puis, dans un second temps, de la ZEE en 2012 a permis à la France, par exemple, de mettre en place les «outils» organisant les poursuites pénales des auteurs d’infractions portant atteinte à l’environnement marin, d’étendre la superficie des aires marines protégées et de soumettre l’ensemble de la zone considérée à l’application des règles européennes de gestion et de conservation de la ressource halieutique.
Cette évolution est, peu ou prou, commune à tous les riverains de la Méditerranée et l’on ne pourrait que s’en réjouir si elle ne venait, hélas, buter sur la dure réalité de l’effectivité de sa réalisation. Pour «sanctionner» et «dissuader», il faut pouvoir détecter et contrôler les contrevenants potentiels, soit avant tout surveiller. Or, même si la technologie (satellites, radars, réseaux informatiques…) et le renforcement des normes portant, notamment, sur les obligations de signalement des navires, se sont considérablement développées, il n’en demeure pas moins que pour être véritablement efficace, quelle que soit l’organisation administrative existante (2), il faut pouvoir et savoir «occuper le terrain», c’est-à-dire disposer d’un nombre suffisant de navires et d’aéronefs capables d’assurer une surveillance optimale et constante de l’espace maritime. Ce qui est loin d’être le cas d’autant que, depuis de nombreuses années déjà, les moyens dédiés, de chacune des marines et administrations des États méditerranéens, sont en diminution constante.
Ce phénomène est encore aggravé par la situation sécuritaire complexe du bassin méditerranéen qui impose la mobilisation de moyens pour faire face aux flux importants de migrants, aux développements des trafics d’armes et de stupéfiants ainsi qu’aux risques terroristes. Même les moyens les plus performants n’ont pas de don d’ubiquité et, malgré leur polyvalence, il est délicat en Méditerranée de concilier l’exécution concomitante de l’ensemble des missions. Ce qui conduit inexorablement au constat que, malgré la prise de conscience générale des enjeux environnementaux et de la nécessité de préserver la biodiversité marine (3), il serait matériellement impossible aux États d’honorer leurs engagements actuels et futurs.
Etat et société civile main dans la main
Mais, devons-nous toujours raisonner de la même façon et attendre de l’État, des États, des réponses et des solutions à tous les problèmes? N’existeraient-ils pas des voies nouvelles à explorer, à développer ou à encourager pour permettre aux États de se concentrer sur la sécurité première des espaces maritimes et des territoires tout en bénéficiant des services d’entités extérieures pour la protection du milieu marin? Ce qui, exprimé autrement, se traduirait par «n’est-il pas possible d’externaliser cette mission et d’avoir recours à des sociétés privées?».
Il est évident que ce débat n’est pas, dans son ensemble, particulièrement novateur. Aujourd’hui, tous les États, ou presque, ont recours à des prestataires de services ou ont externalisé des fonctions qui ne paraissent plus constituer le cœur du service public. Pour la mer, cependant, nous sommes encore très loin de cette évolution. Il suffit, pour s’en convaincre, de se souvenir des vifs débats français sur le recours à des sociétés privées pour assurer la protection armée des navires face à la menace de piraterie (4).
La mer est encore très empreinte de l’expression de la puissance des États et des attributs d’exercice de la souveraineté. Le droit de punir ou de pouvoir punir en mer est consubstantiel de l’État et de ses agents. Pourtant, si l’on veut bien examiner la chose d’un peu plus près, il ne s’agit pas toujours de punir ou de pouvoir punir mais de faire punir. Sans entrer dans des développements juridiques inopportuns et déconcertants, il faut bien admettre que cela est possible et existe déjà, y compris en France, aussi paradoxal que cela puisse paraître.
Certes, en matière de sauvetage en mer il n’est nullement question de punir mais c’est bien une association de type loi de 1901 (5) en France qui assume près de 60% des missions de secours et il n’est pas rare qu’une opération de sauvetage se poursuive, à quai, par la constatation ultérieure d’un certain nombre d’infractions par les agents habilités.
L’association Sea Shepherd mène des opérations de surveillance en Méditerranée. |
L’action salutaire de l’association Sea Shepherd
En ce qui concerne la préservation du milieu marin, notamment de sa faune, quelques uns ont découvert, à l’occasion de la lecture d’un article d’un quotidien régional (6), que les navires de l’association Sea Shepherd assumaient déjà la surveillance de la réserve du Cap Roux, au large de Saint Raphaël, en liaison avec la gendarmerie maritime. Cela n’a pas fait grand bruit mais constitue probablement une nouvelle voie à explorer.
Jusqu’alors, Sea Shepherd, association fondée en 1977 par Paul Watson, était surtout connue pour ses joutes tumultueuses et houleuses avec la flotte baleinière japonaise qui, en violation flagrante du droit international, persistait à traquer et décimer les baleines dans les mers australes et antarctiques. Il faut bien admettre que, sans la présence et la hargne constantes de la flotte de Sea Shepherd, ce ne sont pas les vagues et timides protestations diplomatiques qui auraient permis de préserver les baleines d’un massacre inutile et mercantile, à défaut d’être scientifique. Nous n’avons pas vu non plus beaucoup de navires d’État croiser dans les parages. Tout comme nous n’avons pas vu beaucoup de ces mêmes navires (7) s’opposer au pillage, dans les mêmes eaux ou presque, de la légine (8) si ce ne sont ceux de Sea Shepherd qui ont assuré le pistage et la poursuite, pendant près de 110 jours (9), d’un navire jusque dans les eaux de Sao Tomé, conduisant l’équipage à se saborder.
C’est encore l’action de Sea Shepherd et son engagement sans relâche qui a permis au Gabon, à l’Indonésie, à l’Espagne et même à la Chine d’engager des poursuites pénales et de prononcer des sanctions à l’encontre de capitaines de navire de pêche et de dirigeants des sociétés d’armement de ces navires.
Certains n’auront pas oublié l’action de Sea Shepherd en Méditerranée à l’occasion d’une opération de surveillance de pêche au thon rouge (10) en 2010 ou encore lors de la campagne le long des littoraux espagnols, français et italiens de ramassage en mer des déchets plastiques. Engagement qui se poursuit actuellement en Sicile en liaison avec la Guardia Costiera et la Guardia di Finanza au travers de l’opération Syracusa 2016 (11).
Un peu plus loin de la Méditerranée, dans le Pacifique, c’est encore Sea Shepherd qui, au travers de partenariats avec les services de ces États, mène ou a mené des campagnes de surveillance aux Galapagos (Equateur), dans les eaux mexicaines et kiribates.
Alors, certes, on peut légitimement s’interroger sur la capacité de Sea Shepherd à être présente sur tous les océans et à assumer un nombre exponentiel de missions de surveillance. On ne peut, à ce titre, oublier que Sea Shepherd est avant tout une Ong et que, tout comme la SNSM, les équipages sont bénévoles et qu’elle «vit» de la générosité du public. Il est certain que la surveillance des espaces maritimes requiert de la permanence, de la constance, des financements importants et une certaine forme de professionnalisation des équipages qui influent notablement sur la manière de «travailler» avec des bénévoles.
De même, le développement d’une flotte de navires de surveillance modifie considérablement les besoins et les contraintes du support logistique et de l’organisation de la maintenance. C’est un véritable défi qui, en toute hypothèse, se présente devant Sea Shepherd.
Externalisation de la surveillance maritime
Quel est, ou pourrait-être, l’intérêt pour la Méditerranée dans tout cela?
Les États riverains de la Méditerranée sont, d’une certaine manière, coincés entre leurs engagements internationaux à contribuer à une plus grande protection du milieu marin, leurs impératifs sécuritaires, leurs contraintes budgétaires qui pèsent sur le renouvellement des moyens de surveillance, et la nécessité d’assurer leur juridiction sur des espaces qu’ils ont revendiqués.
Le recours à des sociétés privées de surveillance semble inévitable et, déjà, les propositions commencent à apparaître. Il y a une opportunité pour la Méditerranée d’être un laboratoire pour l’externalisation de la surveillance maritime. Mais deux options se présentent à elle. Soit chaque État se tourne individuellement vers la ou les sociétés de son choix, soit, collectivement, les États s’entendent pour confier des missions de surveillance au même prestataire. Bien évidemment, c’est la seconde option qui présente les meilleures garanties d’efficience mais sera-t-il facile, sinon possible, dans une économie normée de procéder de la sorte? On peut en douter. Il n’en demeure pas moins qu’entre la possibilité de confier, par exemple, à Sea Shepherd ces missions ou de recourir à plusieurs sociétés de prestations de services, la philosophie n’est plus tout à fait la même. D’un côté, il y a une association dont le dévouement et l’engagement pour le milieu marin n’est plus à démontrer, même si ses actions passées parfois violentes lui ont valu le qualificatif d’écoterroriste et que l’on peut ne pas être en phase avec le mode de vie de ses membres, de l’autre, des sociétés commerciales tout à fait honorables et professionnelles mais dont le seul objectif sera d’être rentables.
La mer, et la Méditerranée en particulier, mérite le meilleur. Elle est une cause à elle seule. Il faut que chacun puisse s’identifier à cette cause. Et il n’est nul besoin d’envisager de créer une structure ou une organisation spécifique, elle existe déjà si on veut bien l’utiliser.
Nonobstant toutes ces considérations, il n’est pas certain qu’une ou plusieurs sociétés privées parviennent à donner aux Méditerranéens le sentiment qu’ils peuvent être eux-mêmes des acteurs engagés de la préservation de leur mer… Il n’est, de même, pas tout à fait évident que les Méditerranéens se transforment en activistes environnementaux… ni que Paul Watson veuille perdre son indépendance, voire son âme, en oeuvrant pour le compte des États…
Par Philippe Dezeraud (Consultant indépendant, associé au groupe d’analyse de JFC Conseil ) - Source de l'article Kapitalis
Notes :
1- Dite convention de Montégo Bay de 1982.
2- Garde-côtes, fonction garde-côtes, inter-administrations avec ou sans coordination.
3- Préoccupation illustrée notamment par les travaux menés par l’ONU sur la préservation de l’environnement marin et de la biodiversité au-delà des zones sous juridiction nationale
4- Etendue depuis l’adoption de la loi Leroy (Loi n° 2016-816 du 20 juin 2016 pour l’économie bleue) aux risques terroristes.
5- La société nationale de sauvetage en mer (SNSM).
6- ‘‘Var Matin’’, édition du 14 mars 2016
7- A l’exception notable de la France qui assure une surveillance très active de ses ZEE (Kerguelen, Crozet…)
8- Espèce de poisson des mers australes dont la ressource est protégée.
9- Ce qui constituerait un «record du monde».
10- Pour être complet il faut aussi mentionner lors de ces campagnes la présence des navires de GreenPeace et la rencontre houleuse avec la flotte de thoniers senneurs.
11- Troisième campagne consécutive qui a pour objectif de défendre l’écosystème de la réserve marine de Plemmirio, au large de la côte est de Syracuse en Sicile, contre la pêche illégale.
1- Dite convention de Montégo Bay de 1982.
2- Garde-côtes, fonction garde-côtes, inter-administrations avec ou sans coordination.
3- Préoccupation illustrée notamment par les travaux menés par l’ONU sur la préservation de l’environnement marin et de la biodiversité au-delà des zones sous juridiction nationale
4- Etendue depuis l’adoption de la loi Leroy (Loi n° 2016-816 du 20 juin 2016 pour l’économie bleue) aux risques terroristes.
5- La société nationale de sauvetage en mer (SNSM).
6- ‘‘Var Matin’’, édition du 14 mars 2016
7- A l’exception notable de la France qui assure une surveillance très active de ses ZEE (Kerguelen, Crozet…)
8- Espèce de poisson des mers australes dont la ressource est protégée.
9- Ce qui constituerait un «record du monde».
10- Pour être complet il faut aussi mentionner lors de ces campagnes la présence des navires de GreenPeace et la rencontre houleuse avec la flotte de thoniers senneurs.
11- Troisième campagne consécutive qui a pour objectif de défendre l’écosystème de la réserve marine de Plemmirio, au large de la côte est de Syracuse en Sicile, contre la pêche illégale.
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