Rencontres d’Averroès : penser l’après du désastre

A Marseille, débats et tables rondes jusqu’à dimanche pour tisser des liens entre les deux rives de la Méditerranée et diffuser auprès du plus grand nombre un savoir sur l’islam.

Des migrants dans l' attente des secours en mer Méditerranée, le 4 octobre.
Des migrants dans l' attente des secours en mer Méditerranée, le 4 octobre. Photo Aris Messinis. AFP
La Méditerranée, un espace enchanteur, ensoleillé, où l’on se baigne volontiers ? Ou une enclave de pauvreté, de guerres, d’embarcations chargées de migrants qui coulent en pleine mer ? Entre vision utopique et apocalyptique, la Méditerranée reste un ensemble qui gagne à être étudié dans sa multiplicité. C’est la tâche que se sont donnée les Rencontres d’Averroès qui débutent ce jeudi à Marseille. «L’idée d’une identité méditerranéenne est fausse, précise d’emblée Thierry Fabre, le fondateur de la manifestation, mais celle d’un monde de l’entre-deux avec de nombreux échanges est vraie.»

Pour la 23e édition des Rencontres, des tables rondes de chercheurs, philosophes et écrivains des deux rives de la «mer au milieu des terres» interrogent les liens historiques entre l’Occident et le monde arabo-musulman. Averroès est comme un symbole de la discussion : la pensée du philosophe arabe médiéval a permis la transition de l’héritage aristotélicien vers la scolastique latine, l’horizon onirique de la Méditerranée offre un arrière-plan fédérateur pour lancer le débat. En parallèle, est lancé un Collège de Méditerranée, «dans l’esprit d’une université populaire» à l’initiative de Julien Loiseau, chercheur au Centre français à Jérusalem.

Pour cette nouvelle édition, il fallait un signal fort montrant que le débat intellectuel continue malgré la violence terroriste. La précédente édition des Rencontres a été interrompue par les attentats du 13 Novembre. «On a voulu nous imposer le silence, dit Fabre, mais il faut absolument penser l’événement pour ne pas succomber à l’actualité, comme le dit Hannah Arendt.» L’histoire de la Méditerranée devient point de contact entre l’Occident et l’islam : apprendre ce qu’il y avait avant les conflits du Proche-Orient, la crise migratoire, le terrorisme, pouvoir aussi «penser l’après du désastre».

Organisatrice des Rencontres, l’association Des livres comme des idées s’efforce aussi de répondre aux besoins de Marseille par des «rendez-vous de chercheurs en dehors des lieux de savoir traditionnels» : une fois par mois, via le Collège de Méditerranée, un quartier différent accueillera des chercheurs à la rencontre d’un public curieux d’en apprendre plus sur son héritage phocéen. Il s’agit de «dépasser le vivier convenu des gens qui vont habituellement à des conférences», explique Loiseau.

Ce jeune intellectuel incarne une nouvelle génération de chercheurs avec «un rapport plus personnel, plus charnel, au terrain de recherche», une pensée concrète qui veut communiquer au-delà d’un entre-soi d’initiés. Car il y a urgence à diffuser de la connaissance sur l’islam avant que les positions ne se soient trop durcies. Souvent, le débat sur la religion est accaparé par des pseudo-spécialistes qui ne peuvent se prévaloir d’un travail scientifique, et relèvent plutôt du discours idéologique. Les résultats de la recherche restent, eux, dans le secret de la sphère académique. Pourquoi ? «Parce qu’en histoire ou dans d’autres domaines, la recherche a pris le tournant de l’érudition», souligne Loiseau : elle s’est fragmentée en domaines hyperspécialisés et internationalisée tout en perdant en visibilité pour le grand public, qu’il importe donc de reconquérir.

«Il y a trop de spécialistes et pas assez d’intellectuels, de gens qui pensent le monde contemporain avec tous ses enjeux», selon Fabre. Son ambition ? «Faire sortir les chercheurs de leurs laboratoires pour renouer avec la dimension universelle de l’université qu’elle n’aurait jamais dû perdre.»

Les Rencontres d’Averroès, 23e édition. Surmonter la faille ? Tables rondes, concert, radio live. Du 10 au 13 novembre. Marseille, Théâtre de la Criée. www.rencontresaverroes.com

Par Elodie Boissard - Source de l'article Libération

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