Baisse des IDE, des revenus
touristiques, des transferts de migrants …, l’économie de la rive Sud subit
actuellement de plein fouet le double impact d’une difficile transition
politique et de la crise économique mondiale et européenne qui sévit depuis 2008.
Or, les crises ne sont pas des moments où le temps suspend son vol en attendant
des jours meilleurs, mais au contraire des moments où le jeu des forces en
présence redistribue les cartes pour révéler un nouvel échiquier. En
l’occurrence, le nouveau paradigme des printemps arabes vient percuter un
espace euro-méditerranéen en proie au polycentrisme mondial où l’hypothèse
d’une « Méditerranée sans l’Europe » (Abis, 2010) force le trait du recul
européen pour ne plus en faire l’économie.
Donc, dans un espace en pleine
recomposition et dix-huit mois après les débuts de l’onde de choc, on ne
saurait tirer de conclusions définitives, mais quelques remarques sont à
souligner.
Le mode de développement «
offshore », qui a prévalu jusqu’à la révolution tunisienne, doit manifestement
être revu. Au Nord comme au Sud, on ne semble plus se fier au prisme de
quelques indicateurs macroéconomiques pour attester de la bonne santé d’une
société. On met désormais à l’honneur des indicateurs plus humains : la RSE, la
société civile, la réduction des inégalités territoriales …, pour attester du
bon sens de l’économie. Mais si les initiatives bienveillantes se multiplient,
c’est encore sans coordination et sans vision d’ensemble.
Les firmes-réseaux et systèmes
productifs transnationaux (dans un grand nombre de secteurs, du textile à
l’automobile) font aujourd’hui de la Méditerranée une interface, tenant du hub
plus que de l’espace intégré. Les exportations de la rive Sud vers la rive Nord
relèvent plus souvent d’une dynamique d’extraversion promue par les donneurs
d’ordre européens (délocalisation-réimportation) que du développement endogène
du tissu entrepreneurial.
Le Maghreb comme espace-relais entre l’Europe et l’Afrique
L’internationalisation des
entreprises maghrébines est pourtant effective, mais elle se déploie davantage
au sein du grand Maghreb ou en direction de l’Afrique subsaharienne. De
véritables groupes maghrébins émergent dans la banque (BMCE, Attijariwafa
Bank), l’industrie (Elloumi, Poulina, Cevital), l’ingénierie (Comete, SCET,
Studi), les télécommunications … Leurs dirigeants ont souvent été formés en
Europe, mais leurs horizons économiques se diversifient et se tournent
majoritairement vers les marchés arabes et africains, pour au moins trois
raisons principales: profiter des taux de croissance offerts par ces marchés,
anticiper le repli européen et être les pionniers de l’intégration africaine.
Ainsi, le Maghreb tend à mieux
valoriser ses trois sphères d’appartenance (la Méditerranée, le monde arabe et
l’Afrique). Il s’affirme plus volontiers comme un espace-relais entre l’Europe
et l’Afrique où ses entreprises se déploient aujourd’hui. Mais dans la
stratégie de « hub pour l’Afrique », le Maroc a pris une longueur d’avance,
grâce à ses infrastructures (Tanger-Med, le réseau de la Royal Air Maroc), mais
aussi grâce à la nouvelle génération de ses élites économiques qui en porte la
vision.
Déconstruire l’Euroméditerranée pour la repenser autrement
La question de l’intégration
euro-méditerranéenne s’est donc considérablement fragilisée, non seulement
parce qu’elle est suspendue aux options politiques des nouveaux dirigeants
issus des printemps arabes, mais aussi parce qu’elle dépend de nouvelles
dynamiques économiques qui tendent à lui échapper et dont on ne saurait nier
l’existence.
Pourtant, les atouts ne manquent
pas pour remettre la Méditerranée au centre des horizons qui chantent.
Il existe un tissu social de
l’entre deux rives, constituant la matrice d’un écosystème relationnel dont les
binationaux sont le maillon fort ; le double statut étant pour beaucoup la clé
de la mobilité professionnelle. Les acteurs économiques transméditerranéens,
dans un contexte de densification croissante de la mobilité moderne et des
réseaux professionnels, contribuent à la création d’un espace transnational en
Méditerranée.
L’entrepreneuriat
transméditerranéen pourrait davantage s’orienter vers le développement africain
(triangulation). Les partenariats entre les entreprises des deux rives pour
aborder les marchés du Sud existent déjà et sont porteurs de nouvelles
complémentarités, car les entreprises maghrébines sont à l’écoute des pays du
Sud, elles y disposent d’avantages comparatifs, tout en valorisant des liens
culturels et une compréhension commune des problématiques du développement.
Le potentiel pour faire de la
Méditerranée une grande région attractive existe donc, encore faut-il penser la
Méditerranée comme une grande région du monde, reliant de vastes continents, et
non comme une simple frange littorale, voire même un voisinage.
Cette réflexion s’inscrit dans le cadre d’un programme de recherche
dont les résultats seront présentés les 15 et 16 novembre 2012 à la Maison
Méditerranéenne des Sciences de l’Homme (voir l’intégralité du programme).
Publication d’un article de
Sylvie DAVIET, professeur de géographie à Aix-Marseille-Université, chercheuse
à l’UMR TELEMME (MMSH) et à l’IRMC de Tunis, sur le site http://www.econostrum.info.
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