Les « révolutions arabes » ont surpris. Elles ont été saluées, dès le départ, avec d’autant plus de ferveur par l’opinion publique occidentale que celle-ci ne les avait pas vu venir.
L’enthousiasme qu’elles ont, d’emblée, suscité plonge ses racines dans une certaine mauvaise conscience, celle d’une trop longue tolérance à l’égard de régimes autoritaires et corrompus, vus comme un moindre mal pour des peuples considérés comme trop arriérés pour accéder à la démocratie. Or, brusquement, ces sociétés se réveillaient. Leur développement entrait en contradiction avec des régimes qui accaparaient le pouvoir depuis trop longtemps et dont la légitimité s’était érodée au fil du temps. Une vision quelque peu euphorisante s’est alors développée, celle d’un « printemps arabe » surgi au cœur de l’hiver 2011. A travers lui, les peuples arabes allaient rejoindre un mouvement universel vers la démocratie qu’avaient parcouru avant eux d’autres peuples, ceux d’Amérique latine, d’Europe du Sud puis de l’Est, après la chute du Mur de Berlin, voire d’Afrique.
Vision idéalisante, à coup sûr, car beaucoup de ces peuples avaient déjà connu la démocratie. Pour l’essentiel, les « révolutions arabes » entendent non pas « restaurer », mais « instaurer » la démocratie, avec, en Tunisie, un mot d’ordre qui vaut marque de fabrique : « Dégage ! ».
L’enthousiasme qu’elles ont, d’emblée, suscité plonge ses racines dans une certaine mauvaise conscience, celle d’une trop longue tolérance à l’égard de régimes autoritaires et corrompus, vus comme un moindre mal pour des peuples considérés comme trop arriérés pour accéder à la démocratie. Or, brusquement, ces sociétés se réveillaient. Leur développement entrait en contradiction avec des régimes qui accaparaient le pouvoir depuis trop longtemps et dont la légitimité s’était érodée au fil du temps. Une vision quelque peu euphorisante s’est alors développée, celle d’un « printemps arabe » surgi au cœur de l’hiver 2011. A travers lui, les peuples arabes allaient rejoindre un mouvement universel vers la démocratie qu’avaient parcouru avant eux d’autres peuples, ceux d’Amérique latine, d’Europe du Sud puis de l’Est, après la chute du Mur de Berlin, voire d’Afrique.
Vision idéalisante, à coup sûr, car beaucoup de ces peuples avaient déjà connu la démocratie. Pour l’essentiel, les « révolutions arabes » entendent non pas « restaurer », mais « instaurer » la démocratie, avec, en Tunisie, un mot d’ordre qui vaut marque de fabrique : « Dégage ! ».
Tout aussi péremptoire aujourd’hui, une thèse inverse se fait jour : et si les « révolutions arabes » n’avaient été qu’une « ruse de l’Histoire », ayant seulement servi de fourrier à l’islamisme politique, comme on le voit en Egypte, cœur du monde arabe, avec la victoire des Frères musulmans ?
Il y a en fait deux temps dans les « révolutions arabes » : celui de leur éclosion et celui du processus électoral qui va révéler le « pays réel », en Tunisie et en Egypte notamment.
Il y a en fait deux temps dans les « révolutions arabes » : celui de leur éclosion et celui du processus électoral qui va révéler le « pays réel », en Tunisie et en Egypte notamment.
Je propose d’abord de replacer l’analyse des révolutions arabes dans le mouvement de l’Histoire longue.
L’Islam est la religion de 1 200 millions d’hommes et de femmes, de l’Océan Atlantique aux confins de la Chine, de l’Afrique noire à l’Asie Centrale, et jusqu’aux mers du Sud (Indonésie, Philippines). L’Islam est plus qu’une religion. C’est une organisation sociale qui se veut fondée sur la parole incréée de Dieu, transmise par le Prophète, Mahomet, et sur la tradition. Depuis la fin du califat ottoman (1924), l’Islam ne répond plus à une organisation politique spécifique. Une seule nation a été bâtie sur l’Islam : c’est le Pakistan. La monarchie séoudienne n’est que la protectrice des « Lieux Saints ». Certes, la République islamique d’Iran repose, en dernier ressort, sur l’autorité religieuse, mais elle admet les élections et constitue, en quelque sorte, une forme de régime mixte appelé à évoluer encore.
Le monde arabe nous intéresse d’abord parce qu’il est notre voisin, ensuite parce qu’il est au cœur du monde musulman et enfin parce qu’il est le théâtre de ces révolutions dites « arabes ». Une page, depuis 2011, s’y tourne incontestablement. Elle se tourne sur les régimes sclérosés, corrompus et dictatoriaux, en lesquels avaient fini par tourner les nationalismes arabes nés des révolutions qui avaient suivi la deuxième guerre mondiale et qui, à l’origine, aspiraient à accommoder à l’usage de l’Orient, les recettes de l’Occident (modernisation économique, socialisme arabe à travers l’intervention de l’Etat, laïcité).
Ces régimes nationalistes arabes, curieusement, avaient d’abord été combattus par l’Occident parce qu’ils remettaient en cause ses privilèges et parce qu’ils se sont peu à peu rapprochés de l’URSS. Les Etats-Unis, depuis 1945, ont préféré soutenir les monarchies du Golfe qui leur garantissaient le pétrole, même si le déplacement du centre de gravité du monde arabe consécutif aux « chocs pétroliers » allait faire monter l’influence d’un islamisme conservateur (dans ses deux variantes : traditionnelle (wahhabite) d’une part, plus moderne avec les Frères Musulmans égyptiens, d’autre part).
La création d’Israël en 1948 et son expansion ont conduit les Etats-Unis à s’engager de manière de plus en plus unilatérale à ses côtés d’où une montée continue de l’antiaméricanisme dans le monde arabe, particulièrement au Machreck. Rappelons cependant qu’en 1956, Eisenhower avait sauvé la mise de Nasser.
Dans l’échec global des nationalismes arabes, la responsabilité des sociétés arabes et de leurs leaders ne saurait malheureusement être éludée. Très marqués par la tradition patriarcale et la « verticalité » du pouvoir propre aux sociétés méditerranéennes, les pays arabes n’accèdent pas spontanément à la dimension « horizontale » du débat civique, fondé en Occident sur l’existence d’un citoyen censé « penser par lui-même ». Non que les sociétés arabes ne comportent pas beaucoup d’individualités brillantes, mais l’idée d’une relation politique d’égal à égal, fondée sur une démarche argumentée et démocratiquement sanctionnée, a eu longtemps peine à s’y faire jour. Ce serait tout l’intérêt du processus enclenché par les révolutions arabes si elles permettaient d’y remédier. Ce « travail de soi sur soi » des sociétés arabes est un préalable. Il a été entrepris par une jeunesse branchée sur le monde moderne mais assez généralement coupée des luttes d’indépendance menées, il y a plus d’un demi siècle par leurs aînés. Cette « révolution culturelle » dont le terreau est plus dans le réseau de la communication moderne que dans la lente sédimentation des Lumières, malgré les efforts d’alphabétisation et d’éducation réalisés par les régimes en place, ne peut s’effectuer que dans la durée. Les « révolutions arabes » n’en sont qu’à leur début. Elles apparaissent, au départ, comme une « rupture générationnelle » entre une jeunesse qui est bien de son temps et des structures de pouvoir aujourd’hui loin de leurs sources et souvent sclérosées.
I – Les Etats et les nations sont le cadre de mouvements dits du « printemps arabe »
Les Etats et les nations, notamment ceux qui sont nés du partage de l’Empire Ottoman à la fin de la Première guerre mondiale, et sous la réserve d’une relative indépendance du Maghreb acquise dès la fin du XVIe siècle (après Lepante), constituent le cadre des « révolutions arabes ». Ces Etats, à majorité sunnite (à l’exception de l’Irak et de Bahrein), sont néanmoins divisés (minorités chrétiennes, chiites, druzes, kurdes, etc.). La colonisation a souvent favorisé l’expression de ces minorités. La majorité sunnite s’est ainsi retrouvée face à l’Occident dans des mouvements musulmans intégristes comme les Frères musulmans, fondés en Egypte dès 1928. Des régimes souvent minoritaires et autoritaires ont fini par s’imposer face à une politique occidentale marquée par un soutien inconditionnel à Israël et la méconnaissance persistante des droits du peuple palestinien. Les échecs successifs des Etats arabes face à Israël, la surenchère diplomatique et l’inefficacité économique ont entrainé dans les peuples du Machreck une forte culture du ressentiment. La négation des droits des Palestiniens a contribué aussi à une radicalisation islamiste que la politique occidentale a paradoxalement encouragée, à partir de 1956, pour contrer un nationalisme laïque suspecté de vouloir s’allier avec l’Union soviétique. Les Etats-Unis ont certes su préserver leur chasse gardée pétrolière en fragmentant le reste du monde arabe sur le plan communautaire et ethnique (Irak notamment mais aussi Soudan, voire Syrie). Les « révolutions arabes » se sont attaquées avec détermination aux pouvoirs autoritaires nés de cette histoire malheureuse, en se gardant dans un premier temps, au moins, des surenchères face à Israël ou aux Etats-Unis.
Il ne faut pas confondre concomitance et unité. Il y eut concomitance entre les évènements de Tunisie, du 17 décembre 2010 au 14 janvier 2011, et leur suite en Libye, en Egypte, au Maroc… Un indiscutable effet d’entraînement a eu lieu. Des traits communs apparaissent : partout des mouvements modernes à propulsion démocratique posent le problème de la participation de la majorité à la définition de son destin. Avec la liberté d’expression, la libération des prisonniers politiques, le pluralisme politique, un processus d’expression des sociétés se met en branle. Bref, la forme est démocratique, même si elle ne préjuge pas du fond mais permet le développement de la conflictualité. Des forces qui pourraient s’opposer au mouvement - l’armée, les Etats-Unis - laissent faire. Chacun de ces mouvements enfin porte la marque de l’histoire et des contradictions de la nation dans laquelle il se développe. C’est aussi pourquoi les révolutions arabes sont si diverses que le vocable qui les désigne perd progressivement de sa clarté initiale.
Partout, au départ, le culte du drapeau et l’affirmation de l’identité nationale se sont mnifestées, de Tunis à Bahreïn en passant par Le Caire. La fierté nationale a été un carburant des soulèvements. Les acteurs ne se percevaient pas comme les artisans d’un « printemps arabe » embrassant tout le monde arabo-musulman, mais comme les acteurs d’une renaissance de leur pays, abaissé par les régimes autoritaires et corrompus. La forme nationale prise, au départ, par les révolutions arabes peut apparaître comme une forme de sécularisation à travers la revendication d’un Etat porteur de l’intérêt général.
Les mouvements populaires se développent selon une logique qui reflète l’histoire politique et sociale propre à chaque pays :
1. En Tunisie, la cause de l’explosion tient sans doute à Ben Ali, au pouvoir autoritaire et policier, à la corruption et à l’accaparement des grandes sociétés par un clan familial. Elle tient aussi à la mise en œuvre de l’accord de libre-échange avec l’Union européenne et au démantèlement de l’accord multi-fibres qui a détruit des dizaines de milliers d’emplois locaux. L’explosion tunisienne tient enfin à la démocratisation de l’Ecole et de l’Université, en raison du nombre considérable de diplômés sans emploi. Ben Ali part dès lors qu’il comprend que l’armée le lâche.
2. En Egypte, il était frappant de constater que la principale force d’opposition au régime Moubarak, les Frères musulmans, était au départ absente de la scène de la contestation. C’est l’armée, s’appuyant sur le mouvement de la place Tahrir, qui a écarté Moubarak. On a observé par la suite une prise en main progressive par les Frères musulmans, au fur et à mesure que la population dans sa masse rejoignait le mouvement. La vraie révolution, ce n’est pas la manifestation du 25 janvier 2011, Place Tahrir, ni le départ du Raïs, le 11 février, mais les élections de l’automne qui ont envoyé 78 % de députés islamistes au Parlement. Comme en Tunisie, les Américains ont été plus des « facilitateurs » que des acteurs. Le libéralisme en économie professée par les islamistes y est sans doute pour quelque chose.
3. En Libye, l’autocratie cruelle et bouffonne ne fut pas défaite en quelques jours, comme à Tunis, mais à la suite d’une longue période, où l’engagement de l’OTAN (7000 raids aériens) fut décisif. Les divisions anciennes du pays en tribus et le partage inégal de la richesse pétrolière, expliquent en partie aussi bien la révolte que le soutien reçu longtemps par le régime.
4. A Bahreïn, le caractère propre de l’Etat, avec une population majoritairement chiite et une monarchie sunnite peut seul expliquer aussi bien le mouvement de protestation que son écrasement par l’armée séoudienne.
5. Au Maroc, le mouvement du 20 février, animé par des jeunes et des diplômés, s’est heurté à l’agenda du roi, de l’USFP, comme à celui des islamistes. Il n’a guère prospéré. La reprise en main effectuée par le roi, organisant un referendum constitutionnel, avec 73% de participation et 97% de « oui » a été approuvée par la majorité de la population. Puis aux élections législatives de novembre 2011, les islamistes du PJD sont arrivés en tête avec 27% des voix et le gouvernement Benkhirane compte 12 ministres islamistes. Le Maroc est un triangle dont le sommet, la monarchie, s’appuie sur deux pôles, l’un moderniste, l’autre islamiste.
6. En Algérie, l’absence de grand mouvement populaire organisé de contestation ne se comprend qu’en référence à l’histoire récente du pays, et particulièrement la guerre civile des années 90 qui s’est soldée par l’échec des tentatives de prise de pouvoir par la force des islamistes. Les tentatives d’organisation d’un mouvement de protestation par le RCD, en janvier 2012, sont restées sans grand écho. Le traumatisme des années noires - le nombre des victimes est évalué à plus de 150.000 morts - et le fait que l’Algérie, pays relativement riche, ait su éteindre la contestation par des mesures ciblées touchant la consommation populaire, expliquent largement la situation.
Partout, au départ, le culte du drapeau et l’affirmation de l’identité nationale se sont mnifestées, de Tunis à Bahreïn en passant par Le Caire. La fierté nationale a été un carburant des soulèvements. Les acteurs ne se percevaient pas comme les artisans d’un « printemps arabe » embrassant tout le monde arabo-musulman, mais comme les acteurs d’une renaissance de leur pays, abaissé par les régimes autoritaires et corrompus. La forme nationale prise, au départ, par les révolutions arabes peut apparaître comme une forme de sécularisation à travers la revendication d’un Etat porteur de l’intérêt général.
Les mouvements populaires se développent selon une logique qui reflète l’histoire politique et sociale propre à chaque pays :
1. En Tunisie, la cause de l’explosion tient sans doute à Ben Ali, au pouvoir autoritaire et policier, à la corruption et à l’accaparement des grandes sociétés par un clan familial. Elle tient aussi à la mise en œuvre de l’accord de libre-échange avec l’Union européenne et au démantèlement de l’accord multi-fibres qui a détruit des dizaines de milliers d’emplois locaux. L’explosion tunisienne tient enfin à la démocratisation de l’Ecole et de l’Université, en raison du nombre considérable de diplômés sans emploi. Ben Ali part dès lors qu’il comprend que l’armée le lâche.
2. En Egypte, il était frappant de constater que la principale force d’opposition au régime Moubarak, les Frères musulmans, était au départ absente de la scène de la contestation. C’est l’armée, s’appuyant sur le mouvement de la place Tahrir, qui a écarté Moubarak. On a observé par la suite une prise en main progressive par les Frères musulmans, au fur et à mesure que la population dans sa masse rejoignait le mouvement. La vraie révolution, ce n’est pas la manifestation du 25 janvier 2011, Place Tahrir, ni le départ du Raïs, le 11 février, mais les élections de l’automne qui ont envoyé 78 % de députés islamistes au Parlement. Comme en Tunisie, les Américains ont été plus des « facilitateurs » que des acteurs. Le libéralisme en économie professée par les islamistes y est sans doute pour quelque chose.
3. En Libye, l’autocratie cruelle et bouffonne ne fut pas défaite en quelques jours, comme à Tunis, mais à la suite d’une longue période, où l’engagement de l’OTAN (7000 raids aériens) fut décisif. Les divisions anciennes du pays en tribus et le partage inégal de la richesse pétrolière, expliquent en partie aussi bien la révolte que le soutien reçu longtemps par le régime.
4. A Bahreïn, le caractère propre de l’Etat, avec une population majoritairement chiite et une monarchie sunnite peut seul expliquer aussi bien le mouvement de protestation que son écrasement par l’armée séoudienne.
5. Au Maroc, le mouvement du 20 février, animé par des jeunes et des diplômés, s’est heurté à l’agenda du roi, de l’USFP, comme à celui des islamistes. Il n’a guère prospéré. La reprise en main effectuée par le roi, organisant un referendum constitutionnel, avec 73% de participation et 97% de « oui » a été approuvée par la majorité de la population. Puis aux élections législatives de novembre 2011, les islamistes du PJD sont arrivés en tête avec 27% des voix et le gouvernement Benkhirane compte 12 ministres islamistes. Le Maroc est un triangle dont le sommet, la monarchie, s’appuie sur deux pôles, l’un moderniste, l’autre islamiste.
6. En Algérie, l’absence de grand mouvement populaire organisé de contestation ne se comprend qu’en référence à l’histoire récente du pays, et particulièrement la guerre civile des années 90 qui s’est soldée par l’échec des tentatives de prise de pouvoir par la force des islamistes. Les tentatives d’organisation d’un mouvement de protestation par le RCD, en janvier 2012, sont restées sans grand écho. Le traumatisme des années noires - le nombre des victimes est évalué à plus de 150.000 morts - et le fait que l’Algérie, pays relativement riche, ait su éteindre la contestation par des mesures ciblées touchant la consommation populaire, expliquent largement la situation.
7. En Syrie, les mouvements populaires de contestation du régime dictatorial et policier de Bachar El Assad étaient dès le départ marqués par les divisions confessionnelles anciennes du pays. Le refus de l’accaparement de l’Etat par les Alaouites, sous le camouflage du Baath, nourrissait l’exigence démocratique. Mais la situation ne peut s’expliquer que par l’histoire du pays, par l’ascenseur social fourni par l’armée à la minorité méprisée des Alaouites et aux Chrétiens, et par l’écrasement des Frères musulmans en 1982. Très vite, surgissent aux côtés des manifestants civils des combattants armés venus de toute la région et se revendiquant de la cause islamiste. La révolution prend aujourd’hui les traits d’une guerre civile.
8. L’insurrection populaire au Yémen fondée, au départ sur la contestation du pouvoir du président Saleh, n’a pu s’arracher aux tensions et divisions ethniques qui traversent un Etat récent, séparé puis réunifié au cours du dernier demi-siècle. La « solution yéménite », favorisée par l’Arabie Séoudite, n’empêche pas les islamistes radicaux de contrôler à présent l’est et le sud du pays.
9. Au Nord Mali, la revendication indépendantiste touareg (MNLAzawad) a été rapidement écartée par AQMI, par le Mouvement pour l’unicité et pour le djihad en Afrique de l’ouest (Mudjao) et par le groupe Ansar Eddine, principalement touareg mais dans la mouvance intégriste. Les éléments djihadistes semblent avoir pris, dans la foulée d’un mouvement populaire, le contrôle de la situation.
II – Des révolutions conservatrices ?
Après la phase révolutionnaire proprement dite (« thawra », en arabe), s’ouvre une deuxième séquence : celle du processus électoral. Alors que la première phase était portée par une jeunesse branchée, soutenue par une fraction des élites modernistes, la deuxième phase permet à la société profonde de s’exprimer : monde rural, faubourgs urbains, masses dont l’Islam est la référence et l’horizon, et cela d’autant plus que les organisations islamistes ont tissé depuis longtemps, avec la tolérance des autorités en place, un étroit réseau d’éducation et d’aide sociale.
Henry Laurens, professeur au Collège de France, explique que « la poussée de l’Islam est en bonne partie le fruit des progrès de l’éducation ». C’est moins d’une « réislamisation » qu’il s’est agi que d’un changement de l’islam sous l’effet de la scolarisation. En fait, la majorité de ces populations était analphabète et son islam consistait surtout en traditions et superstitions. Avec l’accès à l’alphabétisation, l’islam populaire s’est transformé en islam lu. Les gens ont acquis la possibilité de lire le Coran par eux-mêmes, pour commencer. Ils ont pu y puiser des arguments nouveaux. Cette acculturation religieuse n’est pas sans rappeler ce qui s’est passé en Europe avec la Réforme protestante, puis la Contre-Réforme catholique, aux XVIe et XVIIe siècles ».
Il n’est pas étonnant dans ces conditions que les forces islamistes aient pris le dessus, dans des proportions d’ailleurs variables à l’occasion des élections. Bruno Etienne, quand il voulait expliquer à un public français ce qu’était l’islamisme disait que c’était « les bonnes sœurs + la CGT » ! A ceci près que l’islamisme s’accorde fort bien avec le libéralisme économique. Maxime Rodinson, dans « Islam et capitalisme » (1966), a bien montré que les textes fondateurs de l’Islam magnifient le commerce et la libre entreprise. Khadija, la femme du Prophète était d’ailleurs une grande « femme d’affaires » ...
8. L’insurrection populaire au Yémen fondée, au départ sur la contestation du pouvoir du président Saleh, n’a pu s’arracher aux tensions et divisions ethniques qui traversent un Etat récent, séparé puis réunifié au cours du dernier demi-siècle. La « solution yéménite », favorisée par l’Arabie Séoudite, n’empêche pas les islamistes radicaux de contrôler à présent l’est et le sud du pays.
9. Au Nord Mali, la revendication indépendantiste touareg (MNLAzawad) a été rapidement écartée par AQMI, par le Mouvement pour l’unicité et pour le djihad en Afrique de l’ouest (Mudjao) et par le groupe Ansar Eddine, principalement touareg mais dans la mouvance intégriste. Les éléments djihadistes semblent avoir pris, dans la foulée d’un mouvement populaire, le contrôle de la situation.
II – Des révolutions conservatrices ?
Après la phase révolutionnaire proprement dite (« thawra », en arabe), s’ouvre une deuxième séquence : celle du processus électoral. Alors que la première phase était portée par une jeunesse branchée, soutenue par une fraction des élites modernistes, la deuxième phase permet à la société profonde de s’exprimer : monde rural, faubourgs urbains, masses dont l’Islam est la référence et l’horizon, et cela d’autant plus que les organisations islamistes ont tissé depuis longtemps, avec la tolérance des autorités en place, un étroit réseau d’éducation et d’aide sociale.
Henry Laurens, professeur au Collège de France, explique que « la poussée de l’Islam est en bonne partie le fruit des progrès de l’éducation ». C’est moins d’une « réislamisation » qu’il s’est agi que d’un changement de l’islam sous l’effet de la scolarisation. En fait, la majorité de ces populations était analphabète et son islam consistait surtout en traditions et superstitions. Avec l’accès à l’alphabétisation, l’islam populaire s’est transformé en islam lu. Les gens ont acquis la possibilité de lire le Coran par eux-mêmes, pour commencer. Ils ont pu y puiser des arguments nouveaux. Cette acculturation religieuse n’est pas sans rappeler ce qui s’est passé en Europe avec la Réforme protestante, puis la Contre-Réforme catholique, aux XVIe et XVIIe siècles ».
Il n’est pas étonnant dans ces conditions que les forces islamistes aient pris le dessus, dans des proportions d’ailleurs variables à l’occasion des élections. Bruno Etienne, quand il voulait expliquer à un public français ce qu’était l’islamisme disait que c’était « les bonnes sœurs + la CGT » ! A ceci près que l’islamisme s’accorde fort bien avec le libéralisme économique. Maxime Rodinson, dans « Islam et capitalisme » (1966), a bien montré que les textes fondateurs de l’Islam magnifient le commerce et la libre entreprise. Khadija, la femme du Prophète était d’ailleurs une grande « femme d’affaires » ...
1. Le « printemps tunisien » fut plutôt un mai 68, mené par les jeunes, les étudiants, les diplômés, les couches évoluées … suivi de l’irruption dans les urnes d’une révolution conservatrice. Neuf mois après le départ de Ben Ali, le 23 octobre 2011, le parti Ennhada emporte quatre-vingt-neuf sièges sur deux cent dix-sept. Il forme le gouvernement avec l’appui de deux partis du Centre gauche, le Congrès pour la République (CPR) du Président Moncef Marzouki et « Ettakatol », dirigé par le Président de l’Assemblée Constituante, Mohamed Ben Jaafar. Le Président d’Ennhada, Rachid Ghannouchi, pratique une politique renvoyant dos à dos les « extrémistes », que sont, dans sa bouche, les « laïcs » se réclamant de Bourguiba, et les « salafistes », partisans d’un retour à la lettre du Coran. Même s’il garantit le code du statut personnel et les droits de la femme, Rachid Ghannouchi ne veut pas rompre le dialogue avec les salafistes. Le gouvernement est contraint de réprimer les assauts menés par ceux-ci contre des expositions culturelles ou même des postes de police. L’affaire prend de tout autres proportions quand c’est le Consulat américain qui est visé. La police est amenée à tirer. Le gouvernement est sur le fil du rasoir. L’opinion publique commence à se retourner, même si l’opposition, regroupée derrière M. Caïd Beji Essebsi, ancien Premier ministre de Bourguiba, peine à se regrouper, en butte aux attaques qui la décrivent comme préparant un retour en force de « l’Ancien Régime ». Le problème d’Ennhada, c’est d’abord le chômage, particulièrement celui des jeunes, et de ne pas se laisser déborder par les salafistes.
Libéral au plan économique, Ennhada ne l’est évidemment pas en matière de mœurs, mais peine à trouver des solutions. L’urgence est économique et sociale. Le tourisme par exemple, c’est aussi, comme le fait remarquer H. Laurens, « l’alcool et les femmes au visage découvert ». En attendant, l’Assemblée Constituante est en panne. Non seulement il n’y a toujours pas de Constitution, mais de nombreux problèmes sont irrésolus : le chômage des étudiants, les inégalités régionales, la question du marché noir, etc. C’est sur ce terreau que progresse la violence salafiste dont les acteurs sont issus d’une jeunesse marginalisée. L’UGTT, la puissante centrale syndicale qui a soutenu la Révolution, vient d’appeler au « dialogue national » pour « hisser l’intérêt général au-dessus du particulier ».
Les premières élections doivent avoir lieu probablement en juin 2013. Il n’est pas anormal qu’une transition vers la démocratie fasse apparaître des contradictions. La découverte du pluralisme et du débat est, en soi, chose positive. La Tunisie constitue un laboratoire qui montrera si une synthèse est possible entre l’islamisme politique et la démocratie.
2. Le « printemps égyptien » a été suivi de deux séries de consultations électorales, remportées par les Frères musulmans. Victoire électorale aux législatives, avec 44% (la totalité islamisme plus salafisme dépassant 70% des voix) suivie d’un reflux aux présidentielles avec 24% au premier tour (et 52% au second) L’élection de Mohamed Morsi a conduit à un effacement politique de l’armée.
Ce qui est frappant en Egypte, c’est l’importance du vote islamiste aux législatives et son reflux à l’occasion de l’élection présidentielle. La forte capacité manœuvrière du nouveau Président, qui a bénéficié à l’évidence du soutien de l’administration Obama pour obtenir l’effacement des militaires, n’est pas de trop pour naviguer entre les écueils. En obtenant une trêve entre Israël et le Hamas, le Président égyptien a gagné une crédibilité nouvelle au plan international mais l’extension par décret de ses pouvoirs marque un seuil. Contre la rue, le Président Morsi choisit un référendum, le 15 décembre 2012, sur la Constitution proposée par les islamistes.
Henry Laurens porte sur l’évolution des « Frères Musulmans » égyptien le jugement suivant : « Les Frères musulmans sont condamnés à accepter le pluralisme de la société parce que c’est la condition pour eux d’accéder au pouvoir. Il me semble même qu’une frange au moins du mouvement a intégré la notion de pluralisme. Il y a vingt ans, j’aurais dit : les Frères musulmans sont unanimistes, ils sont adeptes de la « guerre des civilisations » qu’ils ont prônée avant que Huntington ne la théorise, ils croient au complot culturel de l’Occident pour détruire l’islam. Ce sont des antimodernes. Leurs idéologues d’aujourd’hui ne tiennent pas du tout ce discours. Ils ne sont plus dans le conflit entre ce qui est défini comme musulman et l’exogène. Ils insistent au contraire sur la compatibilité entre la modernité incarnée par l’Occident et l’islam. Le grand thème des élections a été l’élaboration de l’« Etat civil » (dawla madaniyya), sorte de mixte entre l’Etat de droit et la société civile. » Reste à savoir si la réalité, marquée par l’absence d’alternative aux islamistes, se conformera au discours des idéologues.
3. En Libye, les forces « démocratiques » étaient surtout islamistes. Le mouvement était d’ailleurs parti de Benghazi, où le rigorisme religieux a toujours trouvé ses cadres. Le soutien du Qatar est allé jusqu’à une participation à la coalition armée. Rien d’étonnant à ce que la remise en vigueur de la charia ait été une des premières mesures annoncées. Les violences ethniques demeurent, notamment au Sud. Certes les Frères musulmans ont été battus aux élections par les « libéraux » de Mahmoud Jibril. Mais ce « libéralisme » tient plus d’un islamo-nationalisme, et son succès d’une défiance à l’égard de l’Egypte, protectrice des Frères musulmans.
4. En Syrie, la réalité d’une guerre civile s’exacerbe. Elle évoque davantage ce qu’ont connu l’Algérie ou le Liban que les révolutions arabes de Tunisie ou d’Egypte. La Syrie est devenue un champ ouvert à toutes les ingérences. Il faut refonder un pacte national syrien qui implique le rapprochement des communautés et d’abord la trêve que recherche méritoirement Lakhdar Brahimi. Ce que peut-être l’« après Assad » n’apparaît pas clairement.
5. Au Nord Mali une séquence analogue a été observée : les militants de l’indépendance touareg ont été rapidement supplantés par les islamistes radicaux, disposant des armements pris en Libye. Le contrôle du Nord par AQMI, le Mudjao et Ansar Dine, mouvement intégriste principalement touareg, pose la question de leur financement et de leur soutien.
6. En somme, partout, sauf en Algérie et au Maroc, les « printemps arabes » ont été pris en main aujourd’hui par les Frères musulmans ou les islamo-nationalistes. La question du djihadisme doit être traitée à part. Elle résulte de dérapages non contrôlés (Libye, Mali, Syrie, Yémen).
III – La stratégie des acteurs politiques
1. Examinons tout d’abord les puissances de la région.
Les monarchies du Golfe : Le wahhabisme s’est engagé de longue date dans une démarche hostile à l’égard des régimes séculiers. C’était visible au sein de la Ligue arabe. Les attaques constantes d’Al Jazeera, depuis très longtemps, contre la politique tunisienne, syrienne, égyptienne, n’étaient sans doute pas le fait du hasard. Les monarchies du Golfe se sont impliquées, par tous les moyens dont elles disposent aux côtés de la récupération islamiste des révoltes populaires, le Qatar soutenant plutôt les Frères musulmans et l’Arabie séoudite ne rechignant pas à aider les mouvements salafistes.
Le wahhabisme voit de plus, au Proche Orient, un nouvel épisode de sa rivalité à l’égard du chiisme. Depuis l’essoufflement et la mort du baathisme et l’épuisement du nationalisme arabe, les deux pôles du Moyen Orient sont Téhéran (lié à la Syrie, au Hezbollah, au Bahreïn, et dans une large mesure aux nouveaux dirigeants irakiens) et Ryadh. Le Liban a toujours été la victime de cet affrontement. Et les Alaouites sont non seulement dans le camp de Téhéran, mais tenus au plan religieux pour renégats. Seul Le Caire essaye de garder sa marge de manœuvre, à distance de Ryad et de Téhéran.
Le rôle de la Turquie est ambigu. La Turquie est une démocratie dont le parti dominant est un parti islamiste, l’AKP. Elle offre ce qui se rapproche le plus d’une « démocratie musulmane ». Mais Kemal Ataturk est passé par là et son modèle n’est pas facilement transposable. La Turquie actuelle tend à reprendre l’héritage de l’Empire ottoman. Mais son attitude de soutien à l’opposition syrienne est freinée par la crainte de voir se constituer au sud de ses frontières des zones kurdes autonomes. La Turquie a sans doute besoin à terme du maintien de l’intégrité de la Syrie.
2. Les Etats-Unis avaient les meilleurs rapports avec Moubarak et Ben Ali. Ils avaient normalisé leurs relations avec Kadhafi et toléraient, au nom de la stabilité, Bachar el Assad et son régime. Mais ils ont été prompts à changer de monture quand ces régimes ont été contestés. Ils ont aussitôt soutenu les islamistes. Leur thèse est claire : si le suffrage universel les désigne, ils deviennent des partenaires légitimes. Une alliance stratégique avait été déjà conclue avec l’Arabie séoudite depuis février 1945 –pacte du Quincy-. De même, en 1978, une alliance avait été conclue avec les islamistes contre l’URSS en Afghanistan, etc… Ce partage des rôles - les islamistes s’occupent de la charia et laissent les Américains s’occuper du pétrole – a montré ses limites. Par la pression militaire et par leurs subventions, les Etats-Unis espèrent contenir les élans anti-israéliens et antioccidentaux des islamistes. Dans le conflit sunnites-chiites, ils optent avec constance, après leurs déboires irakiens, contre Téhéran et ses alliés.
4. En Syrie, la réalité d’une guerre civile s’exacerbe. Elle évoque davantage ce qu’ont connu l’Algérie ou le Liban que les révolutions arabes de Tunisie ou d’Egypte. La Syrie est devenue un champ ouvert à toutes les ingérences. Il faut refonder un pacte national syrien qui implique le rapprochement des communautés et d’abord la trêve que recherche méritoirement Lakhdar Brahimi. Ce que peut-être l’« après Assad » n’apparaît pas clairement.
5. Au Nord Mali une séquence analogue a été observée : les militants de l’indépendance touareg ont été rapidement supplantés par les islamistes radicaux, disposant des armements pris en Libye. Le contrôle du Nord par AQMI, le Mudjao et Ansar Dine, mouvement intégriste principalement touareg, pose la question de leur financement et de leur soutien.
6. En somme, partout, sauf en Algérie et au Maroc, les « printemps arabes » ont été pris en main aujourd’hui par les Frères musulmans ou les islamo-nationalistes. La question du djihadisme doit être traitée à part. Elle résulte de dérapages non contrôlés (Libye, Mali, Syrie, Yémen).
III – La stratégie des acteurs politiques
1. Examinons tout d’abord les puissances de la région.
Les monarchies du Golfe : Le wahhabisme s’est engagé de longue date dans une démarche hostile à l’égard des régimes séculiers. C’était visible au sein de la Ligue arabe. Les attaques constantes d’Al Jazeera, depuis très longtemps, contre la politique tunisienne, syrienne, égyptienne, n’étaient sans doute pas le fait du hasard. Les monarchies du Golfe se sont impliquées, par tous les moyens dont elles disposent aux côtés de la récupération islamiste des révoltes populaires, le Qatar soutenant plutôt les Frères musulmans et l’Arabie séoudite ne rechignant pas à aider les mouvements salafistes.
Le wahhabisme voit de plus, au Proche Orient, un nouvel épisode de sa rivalité à l’égard du chiisme. Depuis l’essoufflement et la mort du baathisme et l’épuisement du nationalisme arabe, les deux pôles du Moyen Orient sont Téhéran (lié à la Syrie, au Hezbollah, au Bahreïn, et dans une large mesure aux nouveaux dirigeants irakiens) et Ryadh. Le Liban a toujours été la victime de cet affrontement. Et les Alaouites sont non seulement dans le camp de Téhéran, mais tenus au plan religieux pour renégats. Seul Le Caire essaye de garder sa marge de manœuvre, à distance de Ryad et de Téhéran.
Le rôle de la Turquie est ambigu. La Turquie est une démocratie dont le parti dominant est un parti islamiste, l’AKP. Elle offre ce qui se rapproche le plus d’une « démocratie musulmane ». Mais Kemal Ataturk est passé par là et son modèle n’est pas facilement transposable. La Turquie actuelle tend à reprendre l’héritage de l’Empire ottoman. Mais son attitude de soutien à l’opposition syrienne est freinée par la crainte de voir se constituer au sud de ses frontières des zones kurdes autonomes. La Turquie a sans doute besoin à terme du maintien de l’intégrité de la Syrie.
2. Les Etats-Unis avaient les meilleurs rapports avec Moubarak et Ben Ali. Ils avaient normalisé leurs relations avec Kadhafi et toléraient, au nom de la stabilité, Bachar el Assad et son régime. Mais ils ont été prompts à changer de monture quand ces régimes ont été contestés. Ils ont aussitôt soutenu les islamistes. Leur thèse est claire : si le suffrage universel les désigne, ils deviennent des partenaires légitimes. Une alliance stratégique avait été déjà conclue avec l’Arabie séoudite depuis février 1945 –pacte du Quincy-. De même, en 1978, une alliance avait été conclue avec les islamistes contre l’URSS en Afghanistan, etc… Ce partage des rôles - les islamistes s’occupent de la charia et laissent les Américains s’occuper du pétrole – a montré ses limites. Par la pression militaire et par leurs subventions, les Etats-Unis espèrent contenir les élans anti-israéliens et antioccidentaux des islamistes. Dans le conflit sunnites-chiites, ils optent avec constance, après leurs déboires irakiens, contre Téhéran et ses alliés.
3. La Russie et la Chine : il faut noter le souci de ces deux puissances de ne pas laisser le Proche Orient aux seuls Occidentaux. Les intérêts matériels (énergie notamment) ne sont pas seuls en cause. Ils ne souhaitent pas laisser se développer un « droit d’ingérence » qui, un jour, pourrait les prendre pour cible. L’interprétation extensive qui a été faite de la résolution 1973 sur la Libye les conforte dans leur détermination. La hantise de la Russie est de voir l’islamisme, qualifié de « wahhabite » s’incruster au Caucase, saper l’influence des Etats protégés de la CEI en Asie Centrale et gangréner les républiques musulmanes établies le long de la Volga (Tatarstan, dont la capitale, Kazan, à cinq cents kilomètres de Moscou, vient de connaître un attentat sanglant dirigé contre l’imam modéré dirigeant la grande Mosquée, Bachkirie). Il faut ajouter à cela la volonté de la Russie de Poutine, ostensiblement rechristianisé, de ranimer son rôle de défenseur des chrétiens d’Orient, rôle qu’elle partageait dans le passé avec la France.
Dans les « printemps arabes », Téhéran n’est pas parvenu à jouer le rôle dont elle avait l’ambition. Israël, inquiet de l’islamisme et de la déstabilisation, a pour sa part insisté sur le péril iranien. La balkanisation de certains pays arabes n’est sans doute pas pour lui déplaire.
4. La France s’est engagée depuis longtemps, lors de la première guerre du Golfe, sur la pente d’un certain suivisme à l’égard de la politique américaine au Moyen-Orient. La politique arabe d’inspiration gaullienne, on s’en souvient, avait été qualifiée, en mars 1991, de « succession d’illusions » par le ministre des Affaires étrangères de l’époque. L’arrivée au pouvoir de régimes islamistes dans le monde arabe ne peut que renforcer cette orientation qui va souvent au-delà d’une adaptation réaliste et n’hésite pas à « anticiper » (Libye-Syrie). La question de l’Etat palestinien est évidemment un marqueur d’autonomie central par rapport à la politique américaine. La reconnaissance d’un Etat palestinien peut conforter le courant laïque de la résistance palestinienne et contribuer à désamorcer les risques potentiels que comporte la montée de l’islamisme politique.
A Bahreïn, le silence radio a rapidement régné, tant le scénario réel était contradictoire avec la « doxa ».
Mais au Nord-Mali, les contradictions sont là. Il nous faut ménager nos rapports avec les Etats africains amis. Une intervention militaire paraît inévitable. Mais la forme n’en est pas encore décidée. Alger qui tient les clés de la solution songe sans doute à une stratégie de division et de pourrissement telle qu’elle fut conduite pour réduire le GIA.
Dans ce paysage deux cas particuliers sont à signaler:
- L’Algérie : Les élections de mai 2012 ont été jugées globalement sincères par les observateurs de l’Union européenne, d’une Fondation américaine, de la Ligue arabe et de l’Union africaine qui se sont déployés pour la première fois dans tout le pays. Le taux de participation – 43 % - peut paraître faible mais il est notablement supérieur au pronostic formulé dans les médias occidentaux (25 %). L’enseignement le plus fort est que la vague verte annoncée n’a pas eu lieu (les partis islamistes n’ont recueilli que 27% des voix) mais l’abstention traduit un retrait certain. Un fait a été ignoré : la présence de 30 % de femmes au sein de l’Assemblée Nationale.
- Le Maroc : il faut évidemment prendre garde aux tensions éventuelles entre le roi et le gouvernement Benkhirane. Aujourd’hui, l’opinion se situe en arbitre et le roi peut choisir le moment et le thème pour contenir un PJD qui, avec 27% des voix, est puissant mais n’est pas le seul maître du jeu.
IV – La balkanisation des Etats de la région
L’un des changements les plus marquants dans la région est une tendance nette à la balkanisation des grands Etats. Les pays jadis dits du « front du refus » ont été les plus touchés par la balkanisation. L’Irak a vu son unité mise en cause par les divisions entre Arabes chiites, Arabes sunnites et Kurdes … la partition du Soudan et la création du Sud-Soudan sont intervenues à l’issue d’un long processus de démembrement dont une des origines a été le conflit du Darfour, dossier très médiatisé par la presse américaine, et l’autre la résistance des minorités chrétiennes. La Libye, dans les faits, se retrouve fragmentée. En Syrie il n’est pas certain que l’issue écarte un éclatement du pays. Le Yémen a vu son unité encore plus fragilisée.
Dans les « printemps arabes », Téhéran n’est pas parvenu à jouer le rôle dont elle avait l’ambition. Israël, inquiet de l’islamisme et de la déstabilisation, a pour sa part insisté sur le péril iranien. La balkanisation de certains pays arabes n’est sans doute pas pour lui déplaire.
4. La France s’est engagée depuis longtemps, lors de la première guerre du Golfe, sur la pente d’un certain suivisme à l’égard de la politique américaine au Moyen-Orient. La politique arabe d’inspiration gaullienne, on s’en souvient, avait été qualifiée, en mars 1991, de « succession d’illusions » par le ministre des Affaires étrangères de l’époque. L’arrivée au pouvoir de régimes islamistes dans le monde arabe ne peut que renforcer cette orientation qui va souvent au-delà d’une adaptation réaliste et n’hésite pas à « anticiper » (Libye-Syrie). La question de l’Etat palestinien est évidemment un marqueur d’autonomie central par rapport à la politique américaine. La reconnaissance d’un Etat palestinien peut conforter le courant laïque de la résistance palestinienne et contribuer à désamorcer les risques potentiels que comporte la montée de l’islamisme politique.
A Bahreïn, le silence radio a rapidement régné, tant le scénario réel était contradictoire avec la « doxa ».
Mais au Nord-Mali, les contradictions sont là. Il nous faut ménager nos rapports avec les Etats africains amis. Une intervention militaire paraît inévitable. Mais la forme n’en est pas encore décidée. Alger qui tient les clés de la solution songe sans doute à une stratégie de division et de pourrissement telle qu’elle fut conduite pour réduire le GIA.
Dans ce paysage deux cas particuliers sont à signaler:
- L’Algérie : Les élections de mai 2012 ont été jugées globalement sincères par les observateurs de l’Union européenne, d’une Fondation américaine, de la Ligue arabe et de l’Union africaine qui se sont déployés pour la première fois dans tout le pays. Le taux de participation – 43 % - peut paraître faible mais il est notablement supérieur au pronostic formulé dans les médias occidentaux (25 %). L’enseignement le plus fort est que la vague verte annoncée n’a pas eu lieu (les partis islamistes n’ont recueilli que 27% des voix) mais l’abstention traduit un retrait certain. Un fait a été ignoré : la présence de 30 % de femmes au sein de l’Assemblée Nationale.
- Le Maroc : il faut évidemment prendre garde aux tensions éventuelles entre le roi et le gouvernement Benkhirane. Aujourd’hui, l’opinion se situe en arbitre et le roi peut choisir le moment et le thème pour contenir un PJD qui, avec 27% des voix, est puissant mais n’est pas le seul maître du jeu.
IV – La balkanisation des Etats de la région
L’un des changements les plus marquants dans la région est une tendance nette à la balkanisation des grands Etats. Les pays jadis dits du « front du refus » ont été les plus touchés par la balkanisation. L’Irak a vu son unité mise en cause par les divisions entre Arabes chiites, Arabes sunnites et Kurdes … la partition du Soudan et la création du Sud-Soudan sont intervenues à l’issue d’un long processus de démembrement dont une des origines a été le conflit du Darfour, dossier très médiatisé par la presse américaine, et l’autre la résistance des minorités chrétiennes. La Libye, dans les faits, se retrouve fragmentée. En Syrie il n’est pas certain que l’issue écarte un éclatement du pays. Le Yémen a vu son unité encore plus fragilisée.
Le panislamisme, surtout dans sa forme wahhabite, n’est pas forcément contradictoire avec la tendance à la balkanisation, car il veut réduire les appartenances nationales au profit d’un seul marqueur identitaire : la religion musulmane. La balkanisation-islamisation peut engendrer des affrontements où nous serions sommés d’intervenir. La vieille thèse de l’Etat-nation serait bien plus utile à ces peuples. Le modèle de l’Etat-nation fondé sur la citoyenneté et non sur la communauté, l’ethnie ou la religion mérite d’être défendu face au modèle communautariste mais il ne peut l’être que par les peuples eux-mêmes.
V – Quelle grille d’interprétation faut-il retenir de « l’islamisme politique » ?
Le monde arabe est notre voisin. Il constitue une caisse de résonnance linguistique, culturelle, historique sans équivalent. Il est, qu’on le veuille ou non, le cœur du monde musulman de l’avenir duquel aucune grande puissance ne peut se désintéresser : Etats-Unis, Russie, Chine, Inde, Europe. Il y a une unité du monde arabe et en même temps le monde arabe est divers. L’Islam, au XXIe siècle, est au cœur du monde. Nul ne peut se désintéresser de son avenir. Et en son centre, répétons-le, il y a le monde arabe.
Selon une thèse que j’emprunte en partie à Pierre Brochand, l’Islam serait de fait la principale force de résistance à la globalisation libérale que portent l’essor des nouvelles technologies de la communication, la libération des flux de capitaux, de marchandises et de services, sans parler des flux migratoires et enfin la dynamique de l’hyperindividualisme libéral. C’est surtout, selon moi, à ce dernier trait que l’Islam s’oppose le plus fortement (il ne s’oppose pas à la libération des capitaux) ni plus généralement au libéralisme économique. La dynamique hyperindividualiste à quoi a abouti la civilisation occidentale n’est plus contrôlée. L’information circule à la vitesse de la lumière. Il y a 1,5 milliard d’utilisateurs d’internet dans le monde et 3,5milliards de portables. Cette révolution de l’information nourrit le consumérisme et l’hédonisme. La globalisation dévalorise tout ce qui est vertical (institutions, Etats, etc.) et donne l’illusion d’un monde enfin décloisonné, où l’individu est roi. Mais elle favorise aussi l’apparition de réseaux transnationaux (drogue, pornographie, criminalité, terrorisme) à la faveur des frustrations et des déséquilibres qu’elle entraine. Dans ce monde interconnecté, nous sommes tous des « voisins obligés ». Cette globalisation d’origine occidentale, et particulièrement celle de l’information, se heurtent à la réalité du monde non occidental, chacun, en son sein, réagissant avec ses propres moyens pour mettre à profit ses atouts spécifiques (délocalisations industrielles – rente pétrolière – trafic de drogue – piraterie, immigration clandestine, etc.) au risque de l’« anomie » (j’appelle ainsi l’absence de toute règle ouvrant la voie à un monde de plus en plus chaotique.
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Source de l'article Politique Actu
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