L'UE est un partenaire clé pour les pays du printemps arabe

Le printemps arabe entre dans une phase délicate. Les tensions, les attentats et les protestations des dernières semaines montrent combien la situation politique reste fragile au Moyen-Orient. Au vu de ces événements décourageants, il est tentant de conclure que les nations occidentales devraient se retirer et cesser de soutenir le printemps arabe. 
En fait, les évènements tragiques et violents qui ont secoué la Libye, l'Egypte et d'autres pays en septembre appellent exactement le contraire : l'Europe doit participer davantage et de manière plus stratégique aux processus de réforme au Moyen-Orient.
Le comportement du reste du monde aura désormais une influence décisive sur la trajectoire politique que prendra la réforme dans les pays arabes et définira le statut de ces derniers pour les années à venir. Jusqu'à présent, l'Union européenne (UE) a réagi habilement à l'évolution politique au Moyen-Orient, mais elle doit maintenant se doter d'une vision stratégique à long terme pour la région. La forme qu'elle lui donnera déterminera son influence dans la région et au-delà.

La réaction de l'Europe à ce jour est louable à bien des égards. L'Europe a apporté son soutien à la démocratie arabe tout en faisant en sorte que la population locale soit le moteur des processus de réforme. Elle a souligné la nécessité de tenir compte des points de vue des réformateurs arabes. Elle a aussi su trouver de nouvelles ressources grandement nécessaires, en dépit de la crise économique à laquelle elle était confrontée. La réponse à la pression populaire en faveur d'une gouvernance démocratique et d'un renforcement de l'obligation de rendre des comptes, l'élaboration de nouvelles constitutions et la tenue d'élections ont un coût.

Après cette première réaction tactique, l'Europe doit désormais aller de l'avant et élaborer une stratégie qui reflète la nouvelle réalité et contribuera à redessiner ses relations avec les pays arabes et le reste du monde. Elle doit notamment se fixer une nouvelle ligne de conduite pour tisser des liens avec la nouvelle génération de démocraties légitimement élues.

Tout d'abord, l'UE commence seulement à dialoguer sur un plan réellement politique avec les nouvelles forces de la région. Pour la première fois dans l'histoire moderne, il est possible d'engager un véritable dialogue avec des gouvernements légitimes élus démocratiquement.

Pendant des décennies, l'Europe, les Etats-Unis et l'ex-URSS ont été les seuls à jouer un rôle dans la région, mais aujourd'hui, la crise économique à laquelle ces pays sont confrontés et les révolutions dans la région conduisent à une redistribution de la donne entre les acteurs internationaux. La Turquie s'affirme davantage. Le Qatar et les Emirats arabes unis ont participé à l'intervention dirigée par l'OTAN en Libye. Les pays du Golfe engagent des sommes importantes en Afrique du Nord. La Chine et d'autres puissances asiatiques tentent discrètement d'avoir leur propre influence sur le cours des événements.

Le véritable défi pour l'Europe consiste à créer des liens de confiance avec les partis islamistes locaux sur la base de principes et d'intérêts communs. Au cours des douze derniers mois, ces partis sont devenus des forces politiques majeures, au sein du gouvernement ou de l'opposition, dans onze pays de la région.

Ensuite, le nouveau cadre politique promet de bouleverser l'équilibre déjà fragile des relations entre les Etats du Moyen-Orient. Le Printemps arabe n'ayant pas pris la même ampleur partout, il aura une incidence sur les rapports de force au Maghreb et au Machreq. Les résultats variables selon les Etats viendront exacerber les rivalités bien connues entre les pays du Golfe et l'Iran. L'Arabie saoudite et l'Egypte se disputeront d'autant plus la prééminence dans la région qu'ils ont choisi des trajectoires politiques différentes. Et ce alors que les tensions entre les chiites et les sunnites ne cessent de croître.

Sur cette toile de fond, la démocratie transformera la manière dont des questions comme la non-prolifération ou le conflit israélo-arabe sont traitées. Dans ce contexte, des organisations existantes telles que l'Union pour la Méditerranée ont un rôle à jouer, mais elles ne sont pas adaptées pour relever les nouveaux défis et doivent faire l'objet de réformes approfondies.

Enfin, l'Europe ne doit pas avoir peur de soulever des questions telles que le commerce, la mobilité, l'énergie, la sécurité, le secteur privé ou même l'agriculture. Aucune réforme politique ne durera en l'absence d'un programme social et économique fouillé ciblé sur les investissements et la création d'emplois. Depuis le début des révolutions, les investissements directs étrangers dans la région ont connu une chute vertigineuse et le chômage des jeunes a augmenté. Ce programme économique devrait être mené au plus haut niveau politique et pourrait être renforcé par les activités des Task Forces, comme par exemple dans la prochaine réunion de la Task Force au Caire le 13-14 novembre. A cette rencontre la haute représentante de l'UE, Mme Catherine Ashton jouera un rôle de premier plan à cet égard.

La réussite des réformes économiques revêt une importance qu'il ne faut pas sous-estimer. En intégrant leurs économies plus avant, l'Afrique du Nord et l'Europe pourront faire face à la concurrence de régions plus dynamiques comme l'Asie et les Amériques et asseoir la stabilité future sur une base solide.

En définitive, ce qui attend l'Europe n'est rien de moins qu'un remodelage complet de ses relations politiques avec le Moyen-Orient. Compte tenu de l'ampleur des défis à relever, la réponse de l'UE – qui dispose de moyens réduits d'incitation matérielle et se trouve face à un environnement bien plus hétérogène et évolutif qu'avant – ne devrait pas se limiter au renforcement de sa politique européenne de voisinage ou de l'Union pour la Méditerranée. A l'heure actuelle, ces initiatives sont à l'origine de travaux utiles, mais essentiellement à un niveau technique. Pour que l'UE devienne le partenaire clé de la région, il est indispensable qu'elle ait une vision plus claire des relations qu'elle voudrait entretenir avec le Moyen-Orient dans dix ou vingt ans et qu'elle progresse sur cette voie selon une approche audacieuse, plus politique que jamais.

Par Raquel Cabrera Alvarez, politologue, et Richard Youngs, directeur du laboratoire d'idées Fride
Source de l’article LeMonde

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