Le Premier ministre tunisien, Youssef Chahed, est actuellement en visite officielle en France. Au-delà des discours qui vont, une fois de plus, saluer l'« indéfectible amitié » qui lie nos deux pays, M. Chahed va essayer de sauver son pays au bord de l'implosion économique et sociale.
La Tunisie, qui compte 11 millions d'habitants, a accueilli et accueille plus de 1 million de réfugiés en provenance de Libye, dont tous n'ont peut-être pas les meilleures intentions. Le tourisme, un des poumons de l'économie tunisienne, pays qui ne dispose, hors phosphate, d'aucune matière première, s'est effondré : de 900.000, le flux annuel de touristes est tombé à 200.000... La croissance est trop faible, loin de son potentiel.
L'objectif prioritaire de la nouvelle équipe doit être de sortir d'un tel piège en combinant les conditions d'une reprise durable. La croissance ne pourra pas redémarrer sans reprise de l'investissement, aussi bien étranger que domestique, donc sans retour préalable de la confiance. Le taux de chômage des jeunes atteint le seuil insupportable de 35 %, avec des chiffres encore plus désastreux dans certaines régions de l'intérieur.
Face à cette situation, que fait la communauté internationale ? Presque rien. Alors que l'Europe a déversé 74 milliards d'euros en Grèce, sa contribution financière à l'économie tunisienne a été plafonnée à... 300 millions d'euros. Quant à la Banque mondiale, elle n'a libéré que 12 % des fonds promis à la Tunisie. On croit rêver !
La Tunisie est pourtant le seul pays du monde arabe à avoir connu un vrai « printemps ». Malgré les menaces qui pèsent sur lui, c'est le seul pays encore complètement démocratique. Mais les institutions européennes, de plus en plus obsédées par la crise des migrants et influencées par l'Allemagne obnubilée par ses frontières à l'est, se désintéressent de plus en plus de l'aide économique apportée aux pays du sud de la Méditerranée.
De ce fait, la France a une place historique à assumer vis-à-vis de la Tunisie, ne serait-ce qu'au titre de l'importance de la communauté tunisienne dans notre pays.
La Tunisie a besoin de capitaux extérieurs : 20 milliards d'euros étalés sur quatre ans, ce qui, à l'échelle internationale, est une somme ridicule au regard des enjeux économiques et sécuritaires. Une somme susceptible d'enclencher, grâce à un effet de levier, d'autres entrées de capitaux et - enfin ! - un cercle vertueux. Dans le même temps, la communauté internationale attend du nouveau gouvernement tunisien des actes forts dans au moins deux domaines :
1- le renforcement de la sécurité des personnes et des biens ;
2- la définition d'une stratégie économique pour les cinq ans à venir, avec des objectifs volontaristes pour la croissance et l'emploi.
La Tunisie attend de la France bien d'autres choses, à un coût budgétaire quasi nul pour notre pays. Plusieurs priorités : le financement des PME, en particulier en fonds propres ; l'accueil des étudiants tunisiens au sein de formations professionnalisantes ; le développement de l'arrière-pays, longtemps délaissé, au travers de partenariats avec les régions françaises ; la restructuration de l'industrie du tourisme, qui nécessite au moins autant de formation que d'investissement. Dans tous ces domaines, le gouvernement français s'honorerait en donnant une véritable impulsion au partenariat franco-tunisien, au-delà des incantations tant de fois entendues et restées sans suite. Il contribuerait aussi à donner de l'espoir à la jeunesse tunisienne, principal ferment de la croissance à venir mais aussi, si rien n'est fait, vecteur des pires frustrations et donc des pires colères. Ne rien faire, c'est se rendre complice de ceux qui, à l'intérieur ou à l'extérieur de ce pays, voient un intérêt à sa déstabilisation.
Par Christian de Boissieu (professeur à l'université Paris-I Panthéon-Sorbonne - co-président du conseil franco-britannique) Jean-Hervé Lorenzi (Chroniqueur - président du Cercle des économistes) Olivier Pastré (Chroniqueur - professeur à l'Université de Paris-VIII) - Source de l'article Les Echos
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