Lors d'une conférence en novembre à Tunis, les investisseurs privés se sont engagés à verser 15 milliards de dollars au pays. Une manne conditionnée à l'aipaisement du climat social et à la protection juridique des investissements.
« Les dollars sont tombés du ciel, la Tunisie n'a plus qu'à démarrer. » Cette formule d'un homme d'affaires tunisien qui participait à Tunisia 2020, la grande conférence organisée fin novembre à Tunis pour relancer l'économie par l'investissement privé, résume l'état d'esprit qui règne actuellement dans les sphères du pouvoir tunisien. L'événement, qui vient de se dérouler était certes à tonalité économique, mais s'est révélé avant tout être un véritable exercice politique.
En plaçant de la sorte sous les projecteurs l'Etat convalescent à l'économie fragile, les autorités se sont déjà rassurées : elles qui, quelques mois plus tôt, se disaient déçues du manque de solidarité manifestée par leurs amis, ceux-là mêmes qui les avaient encouragées dans la transition démocratique, n'ont plus de raisons de se plaindre. Investisseurs et donateurs ont répondu présent en annonçant quelque 15 milliards de dollars d'engagements. Beaucoup d'annonces, peu de décaissements mais, au total, un chiffre énorme. La population, qui a subi les contrecoups de la « révolution de jasmin » s'est sentie, elle aussi, soutenue dans ses efforts. Les 11 millions de Tunisiens ont ainsi assisté, mi-surpris mi-incrédules, à cette cascade d'annonces venues des pays du Golfe et des Européens pour l'essentiel.
La paternité de ce « Tunisiethon » ne revient pas au gouvernement actuel. Soucieuse de faire sortir le pays du sacro-saint tandem tourisme-phosphates, l'ancienne équipe s'était posé la question de la sensibilisation de l'étranger à l'attractivité de l'espace tunisien et à ses atouts. L'essai a finalement été transformé par le gouvernement de Youssef Chahed, qui a su mettre en scène la problématique tunisienne et battre le rappel général des pourvoyeurs d'aide.
En misant sur le développement du privé et en fixant un horizon à 2020, la stratégie a fait mouche. Les autorités donnent un cap et projettent en même temps une image différente de la Tunisie. Depuis six ans, celle-ci est associée au chaos post-« printemps arabe » et à la transition qui a suivi. Une première vraie étape - qui a fait que chacun a commencé à y croire - a été franchie avec l'adoption, en janvier 2014, de la Constitution.
La période post-révolutionnaire, la série d'attentats de 2015, l'effondrement de la Libye voisine et la porosité extrême de la frontière avec la Tunisie ont fait du tort à l'économie. Les trafics se sont multipliés au point que la part de l'informel est passée dans le PIB de 15 % en 2011 à plus de 50 % aujourd'hui. La corruption est, elle aussi, restée omniprésente. L'absence d'investissements de modernisation a aussi miné certains secteurs. Ainsi, beaucoup d'industriels se plaignent de l'activité portuaire. « Le coût de la logistique est supérieur à 20 % en Tunisie contre 13 % pour la Turquie. En 2010, le Maroc et la Tunisie étaient à égalité à 12 % », explique Fabio Mandirola, PDG du groupe Vectorys. Or, lorsque ce coût dépasse 20 %, mieux vaut passer son chemin. La Tunisie doit maintenant remonter ses manches. Il faut à présent « donner un coup de pioche dans le système et laisser le privé agir », poursuit Fabio Mandirola. Tout en se choisissant un nouveau modèle économique, la Tunisie doit soigner ses maux. La troïka, le gouvernement de coalition qui a repris en main le pays juste après la révolution, a doublé le nombre de fonctionnaires. Aujourd'hui, non seulement le secteur public est essoufflé mais il est en guerre avec les syndicats de l'UGTT (Union générale tunisienne du travail), principale centrale syndicale qui brandissent la menace d'une grève générale. D'un côté, la Tunisie est tributaire des réformes voulues par le FMI et, en même temps, elle est aux prises avec les revendications de l'UGTT. Une mission impossible pour le gouvernement que de concilier les deux. « En période post-révolutionnaire, il y a toujours des poches de revendication, c'est normal », souligne Khadija Mohsen-Finan, chercheure associée à l'Iris. S'il ne veut pas effrayer les investisseurs potentiels, le gouvernement doit donc impérativement approfondir ce dialogue social, pièce maîtresse de l'édifice. « Il faut donner de la satisfaction sociale », poursuit le chercheur. Un échec sur ce terrain, une incapacité des autorités à contrôler le pays et les atouts que la Tunisie met en avant, notamment son réservoir de talents, seront vite balayés par la dégradation du climat social. Les rêves de se muer en hub industriel, en pôle régional, en maillon entre l'Europe et l'Afrique seront remis à plus tard. Et les investisseurs qui mettent toujours dans la balance la Tunisie face au Maroc seront peut-être tentés d'aller voir ce qu'il se passe au royaume chérifien.
Sans doute aussi, pour gommer les aspérités d'un environnement social rugueux, les dirigeants tunisiens doivent-ils se forcer à communiquer davantage et montrer la progression dans la réalisation de leurs projets. Le nouveau Code des investissements, qui entre en vigueur le 1er janvier, suscite bien des interrogations. Beaucoup, parmi les personnes présentes à la conférence de Tunis, regrettaient de ne rien savoir sur les secteurs, leur degré d'ouverture aux capitaux étrangers. Il faudra attendre la promulgation des décrets d'application tout juste examinés en Conseil des ministres. Autant d'éléments que les autorités doivent faire largement savoir sous peine de ne pas réussir à susciter la confiance dont la Tunisie a besoin et sans laquelle elle ne redémarrera pas.
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