Organisé par le Forum des chefs d'entreprise (FCE) algériens, le premier Forum africain d'investissements et d'affaires, qui se tient à Alger du 3 au 5 décembre, consacre la nouvelle stratégie algérienne : cap sur l'Afrique et la diversification économique.
Il était temps ! Après plus de cinquante ans passés à biberonner la rente des hydrocarbures, l'effondrement du cours du baril, depuis deux ans, constitue évidemment un grand sujet d'inquiétude pour les autorités algériennes, mais il est aussi le catalyseur du renouveau. C'est en tout cas l'ambition du Forum (algérien) des chefs d'entreprise (FCE*), organisateur du Forum africain d'investissements et d'affaires (Alger, 3-5 décembre). Son vice-Président aux questions économiques, Brahim Benabdeslem, en réclame d'ailleurs clairement la paternité : "Le forum, c'est nous !" Le FCE revendique aussi d'être l'inspirateur du gouvernement pour le double mouvement qui paraît s'affirmer en Algérie : une ouverture économique volontariste à l'Afrique ; la diversification de l'économie.
Un plaidoyer du FCE "Pour l'émergence de l'économie algérienne"
De fait, dès après l'élection de l'actuel président Ali Haddad, en novembre 2014, des commissions ont été créées au sein du FCE afin d'analyser la situation de l'économie algérienne et surtout, de proposer une vision d'avenir. C'est l'objectif du plaidoyer "Pour l'émergence de l'économie algérienne", un rapport (téléchargeable ici) de quelque 90 pages, présenté au Premier ministre Abdelmalek Sellal en février 2015, et rendu public au mois de juin de la même année.
Rencontré il y a quelques jours à Paris où il se trouvait en tournée de promotion du Forum d'Alger, Brahim Benabdeslem martèle la proposition-clé autour de laquelle s'articule le rapport du FCE : sortir l'Algérie de la dépendance au pétrole, et donc diversifier l'économie. Dans cette perspective, "le FCE considère qu'il y a trois secteurs prioritaires : l'agroalimentaire, l'énergie et le numérique".
"Il est temps pour les Algériens de produire ce qui les nourrit"
Concernant le secteur agroalimentaire, Brahim Benabdeslem plaide pour l'augmentation conséquente de la production : "Il est temps pour les Algériens de produire ce qui les nourrit", affirme-t-il. Cela serait doublement bénéfique au pays, car aujourd'hui les importations agroalimentaires coûtent quelque 10 milliards de dollars par an aux ménages algériens.
Le développement du numérique est bien sûr une autre priorité, et d'autant plus que "l'Algérie est l'un des rares pays en Afrique à disposer de plusieurs milliers de kilomètres de fibre optique. Par exemple, on le sait peu, mais la route Transsaharienne qui relie Alger à Tamanrasset sur 3000 km est aussi totalement équipée en fibre optique", précise Brahim Benabdeslem.
"Arrêtons de vendre du brut, transformons-le"
L'énergie est le troisième secteur que le FCE propose de développer : "Arrêtons de vendre du brut, transformons-le. Nous pouvons aussi vendre notre savoir-faire pétrolier en Afrique, tout en devenant un acteur majeur de l'énergie du continent, y compris avec les EnR, dont le solaire. Nous disposons pour cela d'un avantage comparatif conséquent, avec un prix du gaz très bas... De nombreux pays nous ont déjà contactés pour coopérer", confie le vice-Président du FCE.
Assouplir la règle du 49/51
Une autre préoccupation du Forum des chefs d'entreprise est l'amélioration de l'environnement des affaires, qui laisse encore beaucoup à désirer, tandis que la fameuse règle du 49/51 (selon laquelle aucun investisseur étranger ne peut détenir plus de 49 % du capital d'une entreprise de droit algérien) joue depuis son entrée en vigueur en 2010 comme un repoussoir qui dissuade bien des IDE de choisir l'Algérie.
"La règle du 49/51, c'est une décision souveraine d'un gouvernement issu d'une élection, c'est la loi, souligne à son tour le vice-Président aux Relations internationales, Mehdi Bendimerad, participant lui aussi à la tournée parisienne. Elle n'est pas si extraordinaire, tous les pays du Golfe appliquent ce type de règle. Et puis, la dernière loi sur les investissements a allégé cette procédure en l'exfiltrant du code des investissements. On revient ainsi à une temporalité plus réduite d'une année, comme la loi de finances, ce qui permet d'en aménager la portée dans de nombreux secteurs", relève-t-il.
D'autre part, tandis que l'article 43 de la dernière révision constitutionnelle (mars 2016), consacre la liberté d'investir et d'entreprendre, l'usage a montré que la règle du 49/51 peut être assouplie, tout simplement via le pacte d'actionnaires qui permet d'attribuer des droits de vote supplémentaires.
"Notre position, concluent de concert Mehdi Bendimerad et Brahim Benabdeslem, c'est que la loi est faite pour s'adapter à l'évolution de l'environnement et des secteurs. Nous sommes tout à fait favorables à la levée de cette règle pour les PME, mais bien sûr "les bijoux de famille" (les grandes entreprises à activités stratégiques, ndlr) doivent rester aux Algériens, ceci n'est pas négociable".
L'Algérie veut rayonner plus en Afrique
L'ouverture à l'Afrique est l'autre grande ambition du changement que les chefs d'entreprise algériens du FCE veulent promouvoir. Selon eux, l'Algérie dispose de sérieux atouts pour rayonner plus sur le continent : une étendue géographiques qui, de la rive sud de la Méditerranée, s'enfonce en profondeur dans le continent, jusqu'au Niger ; sa légitimité historique, issue de la participation active du pays à la recherche de solution à plusieurs grands conflits (Grand Lacs, Corne de l'Afrique, Sahel, Mali...) ; les équipements logistiques et infrastructures dont dispose l'Algérie : par exemple la route Transsaharienne qui relie Alger à Bamako (route fibrée sur les 3000 km de la partie algérienne), et qui réduit le temps de livraison entre les deux villes à 3 jours, au lieu de 35 ; un équipement électrique de 98 % du territoire algérien, qui pourrait être utilement prolongé au Mali, où le niveau d'électrification est seulement de 10 % - "avec Sonatrach et Sonelgaz, qui disposent du savoir-faire et sont déjà présents dans plusieurs pays d'Afrique, nous sommes prêts à participer à l'effort d'électrification du Mali", précise Brahim Benabdeslem.
Puis, élargissant son propos, le vice-Président du FCE explique que le Forum d'Alger marque la première étape d'une vision fédératrice du projet économique africain, auquel l'Algérie est prête à apporter son expertise : "Il s'agit pour nous de construire pour l'Algérie une vision stratégique africaine, car nos entreprises sont mûres pour s'y projeter. C'est pour nous une nécessité d'aller vers le continent, y trouver aussi des partenaires, par exemple dans les secteurs de la santé, de la parapharmacie, des médicaments, mais aussi de l'agroindustrie et de l'énergie, ou encore de la banque et de l'aéronautique... Bref, toute une dynamique est à construire, et nous voulons développer la marque Algérie ! Le Forum d'Alger, du 3 au 5 décembre, est le point de départ de cette nouvelle stratégie".
Enfin, répondant à une question de La Tribune sur l'état des relations algéro-marocaines, Brahim Benabdeslem affirme que le FCE est "très favorable à la construction d'une vraie région économique maghrébine" et considère que Maroc et Algérie sont "complémentaires" pour se projeter économiquement "ensemble" dans la profondeur de l'Afrique.
Par Alfred Mignot - Source de l'article La Tribune
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* : Le FCE, Forum des chefs d'entreprise algériens, rassemble 3500 entreprises dont 90 % de TPE-PME, et représente 300 000 emplois marchands.
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