La
question de l’avenir est tout à fait cruciale pour les jeunes du monde entier
et plus particulièrement pour la jeunesse méditerranéenne qui est en train de
connaître ces dernières années, une transformation importante de son
environnement régional.
Bien que jugés comme des évènements positifs, les
Printemps arabes sont en train de transformer les sociétés au Sud et à l’Est de
la Méditerranée et cette période de transition place les plus jeunes
générations dans une situation inconfortable où ils doivent lutter au quotidien
pour améliorer leur présent sans pour autant avoir la garantie d’un avenir
meilleur.
Bien
évidemment les jeunes méditerranéens ne représentent pas une catégorie homogène
et un jeune n’est pas le même selon si l’est un européen du Sud, un jeune
maghrébin ou bien un palestinien ou encore un israélien. Le gage de l’avenir n’est
pas le même pour tous tout autour de la Méditerranée et c’est ce qui constitue
l’un des points cruciaux des relations Nord-Sud dans cette partie du globe.
Cependant, on a pu constater que les jeunes méditerranéens pouvaient avoir les
mêmes aspirations et les mêmes inquiétudes face à l’avenir étant donnée
l’uniformisation des modes de vie et de pensée favorisés par le phénomène de la
mondialisation.
Et même s’ils ne sont pas tous à égalité devant la réalisation
de leurs ambitions il est tout de même important de constater que de part et
d’autre de la Méditerranée, il existe une proportion importante de la
population qui aspire à un avenir plus sûr et ceci quel que soit son
appartenance sociale, culturelle ou confessionnelle.
Trois
éléments caractérisent le présent des jeunes méditerranéens aujourd’hui : des
aspirations sans cesse contrariées par la dureté de la vie ; le chômage,
passage obligé de tout jeune méditerranéen qui souhaite accéder à l’autonomie ;
et enfin l’exil la solution supposées à tous les problèmes.
Des
aspirations contrariées
A
ce sujet, l’organisation Babelmed a lancé un cycle d’enquêtes dans 11 pays
méditerranéens du Nord et du Sud et deux des volets thématiques sont assez
révélateurs des difficultés rencontrées par la jeunesse méditerranéenne
aujourd’hui et de ses aspirations quant à l’avenir. L’intérêt de ces enquêtes
réside dans le fait qu’elles nous débarrassent de certaines idées reçues sur
les jeunes du sud et ceux du nord. En effet, malgré des disparités criantes de
leurs réalités et de leur quotidiens, les jeunes de la région nourrissent tous
d’une certaines manière les mêmes inquiétudes et les mêmes espoirs.
Les
jeunes de onze pays[1] méditerranéens ont été sondés. Il a été constaté un
sentiment partagé d’inquiétude quant à l’avenir et un manque d’utopie.
Aujourd’hui en Méditerranée, les jeunes
ne rêvent plus à des lendemains qui chantent et cela est dû au fait que
ces derniers demeurent jeunes trop longtemps, l’âge de l’autonomie étant sans
cesse repoussé à cause d’une situation
économique précaire et de la crise du travail. Ainsi dans des pays comme
l’Egypte ou l’Italie, les jeunes restent chez leur parents jusqu’à l’âge de
trente ans ou plus. Cette enquête révèle également que le principal désir
exprimé par la majorité des jeunes sondés est de fonder une famille. Cette
jeunesse apparaît comme moins politisée que les précédentes générations –
exception faite des palestiniens du fait du contexte de guerre sur leur
territoire – et est tournée vers des considérations plus terre à terre.
Une
autre réalité a également été révélée par ces enquêtes, c’est celle relative
aux systèmes éducatifs des pays du bassin méditerranéen. En effet, les jeunes
algériens, égyptiens, libanais et marocains se disent « affligés » par la
défaillance du système éducatif public dans leur pays. Ceci les contraint le
plus souvent à opter pour des écoles privées ou à aller étudier à l’étranger
quand ils en ont les moyens. La Tunisie est le seul pays de la rive sud qui
échappe à cette critique. Elle propose un système éducatif public assez
performant avec des pôles de compétitivité dans de nombreux domaines.
Cependant, la démocratisation d’un tel système pose le problème d’un afflux de
diplômés qui peinent à trouver un emploi correspondant à leur niveau universitaire.
En
somme, deux aspirations intrinsèquement liées ressortent de ce portrait de la
jeunesse méditerranéenne. La première est l’acquisition d’une plus grande
autonomie financière, sociale et politique. La seconde est l’amélioration du
système éducatif et son adaptation au marché de l’emploi.
Une
formation inadéquate pour un emploi introuvable
Les
huit pays arabes[2] qui composent la partie Sud et Est de la Méditerranée
totalisent à eux seuls 180 millions d’habitants dont 70 millions âgés de 15 à
34 ans, soit 40% de la population arabe méditerranéenne que l’on peut classer
en trois catégories :
La
première catégorie concerne les jeunes hors système : ils sont 20 millions à se
trouver en dehors de tout système éducatif et en dehors du marché du travail, les
trois-quarts de cette catégorie sont des jeunes femmes.
La
deuxième catégorie concerne les chômeurs à la recherche d’un emploi : 5
millions sont au chômage et la grande majorité d’entre eux sont de jeunes
diplômés à la recherche de leur premier emploi.
La
troisième catégorie concerne les travailleurs : cette troisième catégorie peut
être divisée en deux : sur les 45 millions de jeunes qui la composent, un tiers
sont des travailleurs avec un emploi plus ou moins stable. Les deux autres
tiers sont des travailleurs précaires qui subsistent grâce à des emplois
informels sans aucune protection sociale (marchands ambulants, chauffeur de
taxi, etc.). Leurs gains mensuels sont estimés à environ 100 euros en Egypte et
256 euros au Liban.
Une
étude de la Banque africaine de développement a révélé dernièrement que le
Maghreb est la région du monde où le taux de chômage est le plus élevé avec 12%
et ce depuis une vingtaine d’années. Le taux de chômage des jeunes âgés entre
15 et 29 ans est quant à lui multiplié par deux par rapport au taux de chômage
global dans certains pays, avec 21,5% pour l’Algérie, environ 26% pour l’Egypte
et 30% pour le Maroc. Les raisons à cela sont multiples : inadéquation des
formations avec le marché du travail, un surplus de jeunes diplômés chaque
année sur le marché – en Tunisie 47% des jeunes diplômés en Doit, Economie et
Management âgés entre 23 et 29 ans sont au chômage en 2007, difficultés à
trouver des emplois « décents » qui correspondent au niveau universitaire de
chacun.
Ces
chiffres nous apprennent trois choses importantes sur la condition des jeunes
méditerranéens et plus particulièrement ceux du sud et de l’Est : tout d’abord,
que les jeunes femmes méditerranéennes sont plus touchées que les hommes par
l’absence de formation professionnelle ou universitaire et sont donc celles qui
se trouvent le plus souvent dans une situation précaire et de dépendance.
Ensuite, que les jeunes diplômés ont de grandes difficultés à s’intégrer au
marché de l’emploi, en grande partie à cause d’une inadéquation entre la
formation universitaire et les besoins du marché du travail. Enfin, que le
secteur informel est la seule perspective d’emploi ou presque pour les jeunes
méditerranéens, avec des salaires bas et des conditions de travail très
aléatoires.
L’enjeu
de la résolution de la problématique de l’emploi des jeunes en Méditerranée est
considérable car il pèsera sur l’avenir des pays du Sud de la Méditerranée et
sur leur relation avec leurs partenaires européens du fait de la pression
migratoire existante.
L’exil
: la solution supposée à tous les problèmes
En
effet, bien que considérée comme un choix plutôt positif pour la plupart des
jeunes Sud-méditerranéens, la solution de l’émigration s’impose faute de mieux
dans le pays d’origine. Bien évidemment il ne viendrait pas à l’esprit de ces
jeunes de quitter famille, amis et terre natale si leurs conditions
économiques, sociales et parfois politiques ne les forçaient pas à le faire.
Leur espoir d’un Eldorado européen est quant à lui souvent contrarié par la
dure réalité du Nord, confronté à une crise économique sans précédent depuis
les années 1930.
On
compte en 2006 plus de 3 millions d’immigrés issus des Pays arabes
méditerranéens (PAM) en Europe. Et alors que ces immigrés se dirigent
traditionnellement vers les pays d’Europe du Sud tel que l’Italie, L’Espagne ou
la France, il semblerait que certains d’entre eux, certes encore peu nombreux,
n’hésitent pas à émigrer dans les pays d’Europe centrale et orientale comme la
Hongrie, la République tchèque ou encore la Lituanie. Il est vrai que cette émigration vers les
PECO est encore très limitée et concerne essentiellement des demandeurs d’asile
en transit vers d’autres pays de l’Union Européenne. Mais ces chemins alambiqués
pour rejoindre l’Europe tout comme les dangereuses traversées des nombreux
jeunes clandestins maghrébins désireux d’atteindre les rives européennes –
Gibraltar, Iles Canaries, Lampedusa – au risque d’y laisser leur vie, montrent
le désespoir des jeunes méditerranéens du Sud et leur manque de confiance dans
les gouvernements des pays d’origine. De nombreux entretiens avec des jeunes
issus de la rive Sud révèlent que ces derniers préfèrent endurer les
difficultés financières et la discrimination au Nord plutôt que de subir
l’injustice sociale et politique imposée dans leurs propres pays.
Par
Khadidja Guebache-Mariass, doctorante en anthropologie politique à l’université
Nice-Sophia Antipolis – Source de l’article MEDEA
[1] Algérie, Egypte, Espagne, France, Italie, Liban, Malte,
Maroc, Palestine, Tunisie et Turquie
[2] Les 8 pays arabes méditerranéens PAM membre de l’UPM :
Algérie, Egypte, Maroc, Tunisie, Jordanie, Liban, Palestine et Syrie
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